Les métiers du cinéma : Ingénieur du son
Entretien avec Frédéric Salles, ingénieur du son pour le cinéma de fiction et documentaire
Le film s’achève, le générique se déroule, égrenant les noms et professions de toutes les personnes qui ont permis que le film visionné existe. Une preuve de plus que le cinéma est un art collectif qui rassemble de nombreux savoir-faire. A travers une série d’entretiens, Séances Spéciales vous emmène à la découverte des métiers du cinéma.
Pour cette première rencontre, nous avons discuté avec Frédéric Salles, ingénieur du son qui travaille aussi bien pour la fiction (Rafiki de Wanuri Kahiu (2018), Big in Vietnam de Mati Diop (2012)…) que le documentaire (Des Hommes d’Alice Odiot et Jean-Robert Viallet (2019)), quand il ne se consacre pas à des projets musicaux. Originaire de Marseille, cet autodidacte revient pour nous sur la vision de son métier, la place de l’ingénieur du son dans une équipe de tournage et l’importance des rapports humains dans sa profession.
─ Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le métier d’ingénieur du son ?
Pour construire la bande son d’un film, il y a trois étapes principales : le tournage, le montage et le mixage.
Le chef opérateur du son, ingénieur du son ou preneur de son en cinéma, est responsable de la prise de son. Accompagné d’un perchman et éventuellement d’un deuxième assistant, il capte le son en direct lors du tournage en synchronisation avec l’image, mais aussi des sons seuls et des ambiances hors tournage pour ramener le plus de matière sonore possible avant le montage du film.
─ Comment se passe le travail de préparation d’un tournage ?
L’ingénieur du son commence à travailler avant le tournage, à partir du moment où le réalisateur ou la réalisatrice a écrit son scénario, pour établir avec lui ou elle ce qui constitue la fondation du travail, le désir du film et bien sûr établir une relation de confiance. Une fois que le tournage commence, on peut résoudre des problèmes techniques ou esthétiques mais on n’a plus le temps de se poser pour réfléchir à ce qu’est la vision créatrice du film.
Après la lecture, il y a un premier travail qui s’appelle le dépouillement du scénario. C’est une lecture technique pour évaluer les enjeux matériels et esthétiques du scénario. Par exemple, s’il y a une scène dialoguée avec six acteurs, on sait que ça va être une scène très compliquée qui va nécessiter le matériel adéquat. Cela permet de se mettre d’accord avec la production sur le matériel requis et d’établir un budget.
De notre côté, on dresse une liste des sons qui nous semblent importants pour les différentes scènes. Si un personnage écoute de la musique et danse, on va devoir préparer cette musique pour la lancer au moment du tournage. Ensuite, il faut préparer les ambiances, c’est-à-dire tous les sons qui vont coller à une séquence en plus des dialogues. Ce sont des choses qui s’obtiennent en dehors du tournage, qui dépendent des lieux. J’ai donc besoin d’une liste des décors et des situations : intérieur / extérieur, jour / nuit.
Ensuite, il faut rencontrer l’équipe, faire des repérages techniques, préparer le matériel, trouver un perchman et un assistant. Chaque ingénieur du son à sa manière de travailler, qui correspond à ses outils mais aussi à sa pratique.
─ De quelle manière s’organise votre temps de travail entre deux tournages ?
Pour la plupart, nous sommes des intermittents du spectacle, employés au contrat à durée déterminée par projet. Pour un projet de long métrage ou de fiction, le contact se fait plusieurs mois à l’avance car il y a un long travail de préparation, qui n’est quasiment jamais payé. Nous sommes salariés au moment de la production, donc du tournage. Le reste du temps, on touche les indemnités liées à notre statut. Lorsqu’on est technicien, une grande partie du travail au long de l’année consiste en la maintenance du matériel, l’entretien des relations du réseau, visionner des films, entendre des choses, continuer en permanence à se nourrir esthétiquement.
Personnellement, je suis également musicien donc je travaille sur des projets musicaux. J’ai aussi des boulots « alimentaires » : de la pub, du reportage et des tournages très courts qui m’occupent pendant quelques jours.
─ Vous travaillez pour le cinéma de fiction mais aussi documentaire, est-ce qu’il y a des spécificités, au niveau de l’approche du son pour ces deux formats ?
Oui, en fiction, il va surtout s’agir de trouver les solutions techniques pour capter le son de la meilleure façon possible. Et ça veut dire, que… c’est pas évident ! (rires)
Sur un plateau de tournage, deux ou trois personnes forment l’équipe « son » et le reste de l’équipe sur le plateau est concentré sur l’image. Du coup, une grande partie du travail est de faire en sorte que le reste de l’équipe comprenne les enjeux techniques de la prise de son. Et évidemment on essaie d’apporter notre patte, notre approche esthétique de la prise du son. En fiction, tout est mis en place, il y a de la lumière, des acteurs qui répètent donc techniquement c’est très différent. L’exigence de qualité de son, de contrôle par rapport à ce qu’on veut est beaucoup plus élevée. Les difficultés techniques qu’on va rencontrer peuvent souvent être anticipées.
En documentaire, il s’agit de capter le son des gens qui sont dans leur vraie vie. Il y a un enjeu humain à faire en sorte qu’on ait le moins possible d’altération de ce que pourrait être le réel sans nous. Il y a un travail d’écoute et de discrétion avec les personnes filmées. De plus, l’équipe est beaucoup plus réduite, disons au minimum trois (réalisateur, chef opérateur de l’image et le chef opérateur du son, sans perchman) et nous sommes plus impliqués dans le processus créatif pendant le tournage car on échange en permanence. Le documentaire, se construit vraiment pendant le tournage. Techniquement, ça implique un autre geste. Même si au final, on travaille avec les mêmes outils : micro, perche, casque, enregistreur, mixette.
─ Quelle est la formation pour devenir chef opérateur du son ? Pouvez-vous nous retracer votre parcours ?
Je suis un peu mal placé pour parler de ça car je suis autodidacte. Je n’ai pas fait de formation spécifique d’ingénieur du son. J’ai fait des études de cinéma à l’université en Licence de cinéma, qui m’ont appris à avoir un regard, un esprit critique, à comprendre le langage cinématographique. Cela me sert pour mon métier bien sûr, mais techniquement j’ai appris sur le tas, en travaillant d’abord dans la musique et dans la sonorisation. Adolescent, j’avais une connaissance des micros et des tables de mixage. J’ai commencé très jeune donc j’ai pu travailler sur des films vidéos, des documentaires, faire des interviews. Cela m’a permis de pouvoir rencontrer des ingénieurs du son en fiction et savoir de quoi ils parlaient. J’ai ensuite fait des stages, et j’ai eu la chance de faire des rencontres qui ont été déterminantes.
─ Quels sont les qualités que vous estimez nécessaires pour être ingénieur du son ?
D’abord, c’est la patience, c’est vraiment indispensable, et ensuite une capacité d’adaptation. Comme je le disais tout à l’heure, le travail consiste en 80% de rapports humains et 20% de technique. Pour faire le boulot correctement, réussir à placer le micro là où il faut pour obtenir le résultat souhaité, il faut au niveau humain avoir réussi à se faire comprendre, à travailler avec les autres, à établir des bonnes relations avec l’équipe image et bien entendu le réalisateur. Être capable d’écouter, de comprendre, de se faire entendre et surtout la patience.
─ Vous avez travaillé pour les longs et courts-métrage qui se passent autour de Marseille (Hopecity, Big in Vietnam, Le voyage en Occident ou encore Des enfants dans les arbres), cela vous paraît important de participer à des tournages ancrés en Région Sud ?
C’est plus une question d’opportunité même si cela me fait toujours plaisir car je suis marseillais. Ce qui est important, c’est le créatif, le réalisateur ou la réalisatrice.
Mais par rapport à la région, lorsque j’ai débuté dans les années 90, et à part les stages avec Laurent Lafran, en fiction long-métrage, qui était à Marseille, tous les autres étaient à Paris. C’était très difficile, parce qu’il y avait des gros stéréotypes qui influençaient le regard que les gens avaient sur nous et pendant longtemps la plupart des équipes avaient une façon de nous voir qui était préjudiciable, donc ça a été long. J’ai fait le choix de ne pas aller à Paris, choix que beaucoup de mes collègues faisaient à l’époque. Aujourd’hui cela a changé, il y a toujours un regard particulier quand les productions ne vous connaissent pas, une petite distance mais il n’y a plus de stéréotypes.
Les tournages ici sont de plus en plus nombreux mais il y a également de plus en plus de monde qui travaille. Beaucoup de formations se développent et il faut le dire, il n’y pas beaucoup de travail. Donc il faut pouvoir se diversifier.
─ Est-ce que votre travail du son est influencé par le fait que, pour Marseille par exemple, c’est une ville dont vous connaissez bien la sonorité ?
Il n’y a qu’un point : les cigales. Les tournages estivaux en campagne sont toujours un choc pour les réalisateurs et producteurs qui ne sont pas d’ici et ont fait leurs repérages au printemps ! C’est quelque chose qui est très compliqué pour le son techniquement car les cigales émettent des fréquences qui sont très proches de la voix.
─ Avez-vous un beau ou mauvais souvenir de tournage à nous raconter ?
Je préfère donner un souvenir de stage auprès de l’ingénieur du son qui m’a le plus influencé, et qui a été très important dans le cinéma en France : Jean-Pierre Ruh. C’était un être humain vraiment incroyable, qui arrivait à être extrêmement discret. Sur les plateaux on l’entendait très peu et pourtant il arrivait à faire en sorte que l’équipe entière devienne ingénieur du son. Par sa patience, son empathie avec les gens, il arrivait à faire en sorte que le reste de l’équipe comprenne les enjeux du son.
J’ai eu la grande chance de travailler sur le dernier film d’Antonioni [Par delà les nuages, NDLR] qui était tourné à Aix-en-Provence et dans lequel Wenders était deuxième assistant réalisateur. Jean-Pierre Ruh était ingénieur du son, et sur une scène de travelling particulièrement importante, le chef de la machinerie est venu le voir lui pour lui dire « ça va t’as pas trop de soucis avec le grincement de mon travelling ? » (rires). Ça c’est quelque chose d’unique, la plupart d’entre nous, il faut toujours qu’on rappelle qu’il y a tel bruit qu’il faudrait réduire. Lui, il arrivait à faire comprendre aux gens tous les enjeux, c’est ce qui fait qu’il était un des plus grands.
─ Malgré la situation particulière dans laquelle nous sommes en ce moment, est-ce que vous avez déjà des perspectives de projets pour la suite ?
J’ai eu un petit boulot, j’ai fait du montage son. J’étais censé être au Mali pour un tournage documentaire débuté en février et où nous devions retourner le 12 avril. Je ne sais pas du tout quand cela sera possible. J’ai deux projets importants qui devraient se faire, un documentaire et une fiction, mais pas avant au mieux la fin de l’année, sinon 2021.
Qu’est-ce que je suis frustré de ne pas pouvoir aller faire de prises de sons alors qu’il n’y a pas d’avions, pas de bateaux et moins de voitures ! (rires) Comme j’aimerais pouvoir aller dans les Calanques ou à la montagne pour faire des sons de nature sans avions ! Il faudrait que je demande aux parcs nationaux !
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Entretien réalisé par Margot Laurens, aidée de Sylvain Bianchi