Pour la 18e année, le festival Image de Ville, depuis le cinéma, regarde l’urbain et explore l’architecture.
Dans une édition 2020 forcément particulière, le festival anticipe ses traditionnelles dates de novembre et se déroulera du 15 au 25 octobre, coïncidant ainsi avec les Journées Nationales de l’Architecture (du 16 au 18 octobre).
La manifestation s’étend sur une quinzaine de lieux – avec de nouveaux venus comme la salle du Miroir (Centre de la Vieille Charité) ou les Docks à Marseille – répartis sur 4 villes – Marseille, Aix-en-Provence, Martigues et Port-de-Bouc. Nous avons rencontré Luc Joulé, co-fondateur d’Image de Ville et Juliette Ancé, programmatrice, pour dérouler la programmation de cette 18e édition.
─ Avant d’aborder le programme de cette 18e édition, pouvez-vous revenir sur l’histoire de la création du festival ?
Nous sommes partis d’un constat simple. Le cinéma est né de la ville moderne du XIXe siècle. Depuis, il n’a cessé de la donner à voir. Désormais, la question urbaine est incontestablement un enjeu de civilisation. Pour être donc comprise et partagée par le plus grand nombre, elle doit relever du champ culturel, sortir des seuls débats d’experts et de spécialistes. Aussi, la proposition poétique et sensible des artistes, celle des cinéastes pour nous, constitue un point de départ et un élément de référence essentiels.
Sur une idée de Bruno Jourdan, Image de ville apparaît en 2003 dans le paysage culturel d’Aix-en-Provence. Le festival s’y développe durant dix ans, puis élargit sa carte à Marseille à l’occasion de MP2013 puis investit, en 2015, l’échelle métropolitaine grâce aux cinémas Le Méliès à Port-de-Bouc et le cinéma Jean Renoir à Martigues.
─ Le festival a donc une dimension métropolitaine. Comment se passe la circulation du public entre les différents lieux ?
La circulation du public de lieu en lieu dans une même ville est possible, et nous nous efforçons de l’encourager par la programmation, avec par exemple cette année une programmation sur Eric Rohmer partagée entre la Baleine et le Vidéodrome 2. Entre les villes, la circulation se heurte à la question des transports. Il suffit d’une autoroute bouchée pour qu’il manque à une séance aixoise des dizaines de marseillais, aller à Port-de-Bouc c’est pour certains une aventure.
─ Cette année, difficile d’évoquer des événements culturels sans parler du Covid-19. Comment avez-vous préparé cette édition et plus largement quel a été l’impact de l’épidémie sur votre travail ?
Le contexte est extrêmement compliqué. Nous en avons pris la mesure dès le confinement en essayant de soutenir les festivals annulés comme Aflam, Nouv.o monde. Une annulation est un choc violent pour nos collectifs de travail. On se rend compte encore plus de la fragilité de nos organisations et de nos moyens pour porter des événements festivaliers. La question de maintenir l’édition s’est bien sûr posée. Au final, la programmation a été recomposée à quatre reprises, au gré des évolutions de la situation sanitaire.
Quand on programme, tout le travail s’organise autour de ce qui est prévu à une date précise. L’idée c’est de « faire confiance » à cette date car le moindre choix de programmation implique beaucoup de travail sur tous les plans : organisation, communication, médiation, relation avec les lieux qui nous accueillent, relation avec les invités… C’est donc le manque de visibilité qui est épuisant. Pour donner un ordre d’idée, quand on a recomposé la programmation la première fois, on a enlevé une vingtaine de séances et d’invité.es.
─ La programmation de cette édition est articulée autour de plusieurs événements – Homo Urbanus, Le Gai Savoir, des cycles sur le cinéma catastrophe, le cinéma japonais ou encore sur Eric Rohmer. En plus de ces événements, vous présentez 4 sélections de films intitulées « Esprit d’une ville », « Génie des lieux », « Terrestres » et « Hospitalité(s) ». Pouvez-vous détailler cette architecture ?
Le premier événement est une exposition de cinéma qui présente Homo urbanus le travail d’un couple de cinéastes, Ila Bêka et Louise Lemoine. Il s’agit de 10 films tournés dans 10 villes du monde (Venise, Doha, Shangaï, Tokyo, Kyoto, Bogota, Saint-Pétersbourg, Rabat, Séoul et Naples), des traversées de l’espace public à la rencontre de cet homo urbanus. Cette collection de films sera présentée à Marseille, aux Docks Village (place de la Joliette) pendant les 10 jours du festival.
Le deuxième événement s’intitule Au Gai savoir urbain. Il s’agit d’une grande université populaire sur la ville et l’urbain. Thierry Paquot (philosophe et président d’Image de Ville) et Michel Lussault (géographe, directeur de l’Ecole urbaine de Lyon) ont écrit il y a 20 ans La Ville et l’urbain. L’Etat des savoirs (Editions La Découverte). Aujourd’hui, ils considèrent que l’état général de la ville et de la question urbaine nécessite une refonte profonde de leur ouvrage. Ils recevront donc au Musée d’Histoire de Marseille pendant les Journées Nationales de l’Architecture une dizaine de personnalités (architectes, paysagistes, archéologue, philosophes) pour réfléchir avec le public sur notre condition urbaine et son devenir.
En plus de ces événements, nous recevrons Alfonso Pinto, qui, à partir de sa thèse sur Les espaces urbains dans le cinéma catastrophe, présentera un cycle de films catastrophe, allant de la fiction au documentaire, et une ciné-conférence sur les imaginaires épidémiques au cinéma. Les 17 et 18 octobre, le Gyptis à Marseille accueillera également un cycle consacré à Miyazaki et Takahata accompagné d’une ciné-conférence du critique cinéma Raphael Nieuwjaer.
─ Vous avez également choisi de célébrer le cinéma d’Éric Rohmer, hommage qui avait été initié lors de l’édition précédente avec la projection de son premier long métrage, Le Signe du lion. Que se passera-t-il cette année ?
éric Rohmer, disparu il y a 10 ans, est certainement le cinéaste français qui s’est le plus intéressé à l’architecture et à l’espace urbain. Nous avons souhaité lui rendre hommage en invitant des cinéastes contemporains à présenter un de leurs films et un de Rohmer. Emmanuel Mouret viendra donc présenter à Marseille Vénus et Fleur à Vidéodrome 2 en 35mm puis Les Nuits de la pleine lune à La Baleine, tandis qu’Elise Girard présentera à l’Institut de l’Image à Aix-en-Provence son film Drôles d’oiseaux en dialogue avec L’Amour l’après-midi de Rohmer.
─ A cela s’ajoutent donc les 4 écrans parallèles, qui évoquent tour à tour la ville, l’influence de nos environnements, l’hospitalité et l’écologie. Pouvez vous détailler ce que constitue ces sélections ?
L’écran « Esprit de la ville » s’intéresse à ce qui fait ville. La sélection est marquée par un focus sur Marseille. L’écran « Génie des lieux » explore les influences que les lieux de tous types exercent sur nous.
Pour « Hospitalité(s) », nous abordons principalement les questions de l’accueil et de l’hospitalité dans la ville en général. Depuis cinq ans, Image de ville et le PEROU travaillent ensemble cette question. Alors que le PEROU prépare une requête auprès de l’UNESCO pour que soit inscrit au patrimoine immatériel de l’humanité le geste d’hospitalité, nous avons lancé, auprès des cinéastes, l’Appel pour une hospitalité manifeste. Pour que le cinéma donne à voir tous ces gestes d’hospitalité qui, ici et là, souvent à bas bruit, traduisent notre humanité en actes.
« Terrestres », le dernier écran, explore les questions écologiques en passant par le cinéma pour solliciter l’imaginaire, en proposer des solutions, susciter du désir. Aujourd’hui le récit de la catastrophe écologique est montré systématiquement de manière sidérante, paralysante, et notamment dans les médias. Nous pensons que le cinéma peut injecter de la vie dans cette question.
─ Pour dépasser le simple visionnage de films, vous proposez des chantiers, des projets en cours d’élaboration. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Nous recevons cette année le marseillais Gaspard Hirschi, qui travaille à un documentaire sur la problématique des résidences fermées à Marseille. Un film qui serait d’ailleurs produit en région. Il présentera donc son projet à Aix-en-Provence et à la salle Image Mouvement de la prison des Baumettes. C’est important pour nous de proposer ce rendez-vous aux auteurs et au public. Cela permet d’entrer dans la fabrique du cinéma. Pour les cinéastes, même si cela n’est pas forcément confortable, le rendez-vous est toujours fructueux. Le film de clôture du festival J’ai aimé vivre là de Régis Sauder avait été présenté il y a deux ans en chantier. Aujourd’hui, Régis revient parmi nous et son film conclura nos dix jours de festival.
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Retrouvez le programme du festival ici
Entretien réalisé par Sylvain Bianchi.
Crédits image top : Norilsk, l’étreinte de glace de François-Xavier Destors, Les Films d’un jour