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Playlist : entretien avec Nine Antico

Entretien avec...

Publié le : Mardi 1 juin 2021

« L’amour véritable finira bien par vous tomber dessus » nous répète tout au long du film la voix de Daniel Johnston. Une promesse qui arrangerait bien Sophie, incarnée par Sara Forestier, qui multiplie les expériences amoureuses. En plus de cela, elle rêve de devenir dessinatrice mais, à l’approche de la trentaine, doit jongler entre petits boulots et précarité. Dans Playlist, son premier long métrage en salles le 2 juin, Nine Antico, autrice de bande dessinée née à Marseille, met en scène dans un superbe noir et blanc cet âge étrange, où tout est encore instable, où il est à la fois trop tôt et trop tard. Nous avons évoqué avec elle son travail sur ce film, ses inspirations et la place du corps féminin au cinéma.

© AFP / Joel Saget
Comment est né le projet ? Quelles étaient vos inspirations cinématographiques durant l’écriture ?  

A la sortie de ma deuxième bande dessinée Girls don’t cry (Editions Glenat, 2012) le producteur Thomas Verhaeghe m’a proposé de l’adapter au cinéma. Mais j’étais davantage intéressé par l’écriture d’une histoire originale, avec des personnages, à la différence de la bande dessinée, ayant la trentaine et non la vingtaine. Je voulais raconter cette période enragée, dans laquelle on peut tout abandonner. Ce moment bâtard, à fort potentiel comique, dans lequel on est censé être adulte sans l’être, où rien n’est stable mais on avance en tirant des balles perdues un peu partout. Une référence évidente lors de l’écriture était Frances Ha de Noah Baumbach (2012), à la fois pour le noir et blanc, pour la quête de soi et pour l’atmosphère comique. J’avais envie d’aller vers une chronique assez banale tout en rendant du charisme à tout ce que l’on peut vivre dans le quotidien qui véhicule de la force, de l’émotion.

Après votre court-métrage Tonite (2013), vous repassez derrière la caméra. Que retrouvez-vous dans le travail de création propre au cinéma que vous ne trouvez pas dans le dessin ?

Quand j’écris une bande dessinée, j’ai en tête des thèmes que je veux aborder sans savoir encore comment les articuler. Je prends le temps de laisser macérer, je n’en parle pas, j’y travaille de façon très intérieure. Or dans le cinéma, il faut constamment être dans l’expression de ce que l’on veut, que ce soit à l’écriture avec les producteurs, avec les financeurs ou lors de la préparation du tournage. C’est un exercice peu évident mais qui permet de réinterroger en permanence ses intentions. J’avais également un gros doute sur ma capacité à donner mon avis à tous les corps de métier qui travaillent sur le film. Je me suis donc entourée d’amies très proches : une monteuse, une cheffe opératrice, une réalisatrice qui était ma collaboratrice sur le film, une amie d’enfance à la décoration. Plein d’amis jouent dans le film. Tous connaissaient mon univers et cela a facilité le travail avec le reste de l’équipe. L’atmosphère était très chaleureuse sur le plateau.

Pourquoi faire le choix du noir et blanc ?

J’adore le glamour du noir et blanc. Cela enlève les aspérités d’une modernité pas forcément gracieuse en tout endroit. J’ai pris plaisir à jouer avec les nuances de gris. En plus de ces raisons esthétiques, c’était un choix pragmatique. Je me suis épargnée le choix de la gamme chromatique des décors, des costumes, et la crainte d’un rendu carton-pâte.

Venons-en au casting, je pense notamment à l’apparition de Jackie Berroyer, qui résonne avec votre parcours puisque lui aussi a une carrière liée au dessin, à la musique et au cinéma. Tout comme Mathieu Peudupin alias Lescop, qui est chanteur. Comment les avez-vous choisis ? Et bien sûr, qu’est-ce qui vous a dirigé vers le choix de Sara Forestier pour votre personnage principale ?

Pour le personnage du père (joué par Jackie Berroyer), je voulais quelqu’un qui n’intervienne qu’une fois et dégage tout de suite une prescience, une personne cultivée et chaleureuse. J’ai découvert Jackie Berroyer par Canal+, puis par la bande-dessinée. Comme Grégoire Collin, acteur emblématique des années 1990-2000 pour moi. Ils ramènent tout de suite un univers.  Ce sont des personnalités très fortes que je suis honorée d’avoir dans mon film. Pour Lescop, cela vient d’un choc au visionnage de son clip La Forêt (2011), le côté graphique de son visage, son charisme étaient parfaits pour un personnage d’auteur qui impressionne Sophie.

Sara Forestier, c’est la même chose. On sait d’où elle vient par son passé de cinéma. Et en même temps je m’étais au départ empêchée d’aller vers elle car cela me semblait trop évident. Mais notre rencontre a été comme une étincelle, cela aurait été complètement stupide de ne pas aller vers cette évidence.

Le long du récit est chapitré par les diverses aventures sentimentales de Sophie. D’où viennent ces hommes qui sont tous très bien croqués et incarnés ?

Ce film est très personnel. Tout est inventé à partir d’une combinaison de choses qui me sont arrivées ou sont proches de moi. J’avais très envie que chacun de ces mecs soient une incarnation très habitée et que l’on puisse tomber amoureuse de chacun. Ils ont tous apporté quelque chose. Andranic Manet par exemple, a amené au personnage de Benjamin de la dignité, de la douceur, de l’intelligence, à un personnage qui pouvait être un peu méprisé à la lecture du scénario. Il m’a aidé à retravailler le personnage grâce à son jeu, sa prestance.

Sophie est autodidacte et sent le poids du manque de légitimité que pourrait lui apporter l’entrée dans une grande école d’art. A côté de ça, un des personnages lui dit que ce sont des endroits où l’on n’apprend rien. Quel a été votre parcours face à ces écoles ?

J’ai vraiment ressenti la difficulté à m’intégrer à ce milieu. C’est une sorte d’élite, qui a ses qualités mais qui crée une forme d’exclusion. J’aimais dessiner depuis toujours mais j’avais l’impression qu’on me disait : « Non tu n’en feras pas partie » ! Cela me mettait en rage. J’ai finalement fait une classe préparatoire puis je suis rentrée aux Beaux-Arts d’Orléans. Je me souviens du décalage ressenti le jour de la rentrée entre un discours très tempéré, tenu par des gens qui semblaient se trouvaient là en ayant navigué au hasard, alors que moi, à 21 ans, j’avais déjà travaillé, je commençais à comprendre ce que je voulais dessiner. Mais j’avais besoin de cette acceptation pour comprendre que je pouvais m’en passer.

Votre film fait une grande place au corps féminin.  Dans la bande-dessinée contemporaine, on sent une poussée féministe, une évocation du corps des femmes de plus en plus présente. C’est ce que vous avez essayé d’apporter au cinéma ?

Mon film est contemporain sur ses sujets. Il est vrai que sur le rapport au corps, la toile n’est pas encore déployée. Il y a énormément à faire au cinéma. C’est à travers les séries que j’ai pu voir des choses audacieuses, comme dans Girls (de Lean Dunham, 2012) où on a une actrice qui ne correspond pas aux codes de beauté et qui est montrée crûment, nue, dans toutes les positions. Cela me semble très récent. Je pense également à Jeune femme (de Léonor Seraille, 2017) avec Laetitia Dosch, où il y avait cet engagement du corps, ou encore La Nouvelle Eve de Catherine Corsini (1999), avec une Karine Viard bouleversante, hors norme.

A travers la maison d’édition qui emploie Sophie, vous décrivez l’univers de la bande dessinée, que le stagiaire de 3e résume d’ailleurs aux « mangas et BD historiques » ?

J’ai dépeint l’univers de la bande dessinée à travers mon vécu. Cela fait partie des choses que j’ai entendues mille fois, une perception très commune que les gens ont de la bande dessinée dont je m’amuse.

Tout est instable dans la vie de Sophie, entre petits boulots et précarité. Elle évolue à travers le monde urbain, du métro aux punaises de lit. Il lui semble qu’il est trop tard pour faire les bons choix. Sa vie sentimentale est sans cesse raturée, il lui est difficile de comprendre son corps. A quoi peut-elle se raccrocher ? A l’amour ?

Oui, c’est un peu une bouée, quelque chose sur quoi s’appuyer. Sauf qu’il est difficile de construire quelque chose si on ne s’est pas soi-même trouvé. C’est comme prendre les choses à l’envers. J’interroge également une idée fantasmatique de l’amour. C’est une quête éternelle de questionner l’amour avec un grand A.

La voix off qui intervient régulièrement est une voix masculine, qui sonne comme celle d’un poète qui déclame ses vérités sur l’amour, la vie. Comment avez-vous écrit cette voix ?

C’est un choix qui a beaucoup été interrogé par les producteurs, les financeurs, qui suggéraient que ce soit la voix de Sophie. Mais c’était très clair pour moi que cette voix était une abstraction, tout en pouvant être les mots de Sophie. En revanche, j’ai tout de suite eu en tête le phrasé de Bertrand Belin. J’adorais l’idée de démarrer sur une fausse piste, en pensant que la voix nous emmène sur le chemin de l’amour que Sophie doit trouver pour ensuite basculer dans une signification métaphorique sur le sens de la vie.

 Votre film sort alors que les salles viennent de rouvrir. Quels films êtes-allée vous voir depuis la reprise ?

J’ai couru en salles entre les confinements puis dès la réouverture. J’ai adoré Garçon Chiffon de Nicolas Maury. Il mêle l’émotion, l’esthétisme, tout en se donnant complètement puisqu’il joue également dans le film. C’est très courageux de traiter le thème de la jalousie, une thématique très riche mais peu gratifiante, peu abordée au cinéma. J’ai revu A bout de souffle (de Jean Luc Godard, 1960). On revient au noir et blanc. C’est vraiment une pépite ! Il y a une énergie, un féminisme, parce que Jean Seberg n’arrête pas de foutre des tartes à Belmondo. Comme quoi, ces personnages de filles libres et leurs déboires ont existé de tout temps au cinéma.

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Entretien réalisé par Sylvain Bianchi.

Crédits photo top et article : Atelier de production

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