Max, un paysagiste interprété par Swann Arlaud rêve de transformer un terrain vague abandonné en jardin sans clôture, lieu d’échange accessible à tous. Après des années de refus, son projet arrive en finale d’un concours d’architecture. Soutenu par les riverains, il devra faire face au scepticisme de la municipalité et redoubler d’effort pour faire vivre le projet.
Retour sur notre rencontre avec le réalisateur Philippe Petit.
─ C’est votre premier long-métrage de fiction, comment est né le projet ?
Philippe Petit : Le projet est né de la difficulté à en faire d’autres. À une époque j’avais, un peu comme Max, un projet de long métrage que j’ai passé 2-3 ans à écrire mais je n’ai pas réussi à le monter. J’ai donc dû me résoudre à tout jeter. J’ai recollé les morceaux avec une histoire précédente qui voulait questionner le paysage et la végétation avec un personnage à mi-chemin entre un univers urbain et végétal. Assez rapidement, j’ai écrit une sorte de traitement que j’ai présenté à la villa Médicis à Rome, j’y suis allé pour écrire ce film, ça a été le déclic qui a initié le projet.
─ Vous vous êtes entouré de paysagistes pour étoffer le rôle de Max ?
P.P. Je ne me suis pas immédiatement entouré de paysagistes. En travaillant à Rome, j’ai vu des jardiniers et j’en ai même fait un court-métrage qui s’appelle « Antérieur » qui pose un petit peu les bases de « Tant que le soleil frappe ». Une fois rentré à Paris j’ai voulu connaitre la manière dont aller fonctionner mon personnage alors je me suis rapproché d’une agence parisienne qui s’appelle Coloco et d’autres paysagistes. En arrivant à Marseille j’ai travaillé avec l’agence Faure qui m’a aidé à la conception du projet de manière un peu plus concrète.
─ Dans votre court-métrage « Antérieur », vous racontez l’histoire de Max, paysagiste. S’agit-il ici du même Max ?
P.P. Max ça vient encore d’avant. Je joue souvent dans mes films et Max ça vient du premier court-métrage que j’avais fait en sortant de l’École Nationale Supérieure de l’AudioVisuel à Toulouse : c’est l’histoire d’un gars qui faisait du ravalement de façade dans les rues de Toulouse et qui rêvait de devenir dessinateur, c’était le personnage de Max. J’ai fait d’autres films entre temps (documentaires et fictions) et je suis revenu finalement à ce personnage là pour l’écriture.
─ Prévoyez-vous d’écrire un autre film autour d’un Max ?
P.P. Je ne sais pas, peut-être pour installer une continuité comme Truffaut.
─ Comment avez-vous choisi Swann Arlaud ?
P.P. Le choix a été assez évident. Je voulais un quarantenaire qui ait une forme de maturité dans son travail, à même de pouvoir avoir un projet assez solide. Il fallait qu’il puisse avoir un enjeu, à un âge où les choix sont déterminants pour les années à venir. Il y avait quelques personnes susceptibles de pouvoir jouer ce rôle-là en France, Swann était mon choix numéro 1. Quand je lui ai envoyé le scénario, il a accepté de me rencontrer puis il a dit oui au projet.
─ Aviez-vous d’abord pensé le personnage avant l’acteur ?
P.P. Oui, ce qui ne sera pas forcément le cas pour mon prochain film car j’aimerais retravailler avec lui. J’ai déjà écrit pour des acteurs ce qui est assez confortable mais ici j’avais le personnage. Il y a plein d’autres choses que je n’avais pas comme le titre.
─À quel moment le titre est-il arrivé ? Et pourquoi ce choix ?
P.P. Le titre est arrivé très tard. J’avais plusieurs titres de travail qui ont tous explosés en plein vol au fur et à mesure des différentes étapes du film. Un jour le distributeur m’a dit que j’avais 3 jours pour le trouver donc j’étais vraiment à la fin. Je voulais un titre qui renvoie à une forme d’espoir et de continuité : tant qu’on peut y aller allons-y ! Je voulais qu’il renvoie à une forme de lumière et de violence, quelque chose d’un peu cru, « frapper » c’était bien, « cogner » ça faisait trop sud. C’est un titre qui est un peu littéraire par rapport à mes autres films mais je trouvais ça assez beau et on est tous tombés d’accord là-dessus.
─ Djibril Cissé joue son propre rôle, à quel moment de l’écriture est apparu l’idée de le faire intervenir ?
P.P. Dès la première version du scénario je voulais la figure d’un footballeur professionnel, quand j’étais à Rome je pensais à Fransceco Totti. Je voulais qu’il y ait Bénur, que Max soit confronté à quelqu’un qui détienne les clés de la ville, quelqu’un qui puisse tout faire et respecté par tous. Je cherchais une triangularité entre Max, l’architecte et cette personne-là. Quand je suis arrivée à Marseille, je ne voulais pas un acteur mais un vrai footballeur. J’ai pensé à Djibril Cissé car c’est un personnage charismatique et jeune. On lui a proposé et il a accepté en préservant son naturel. C’était important d’avoir cette rencontre-là.
─Comment avez-vous travaillé la musique avec Andy Cartwright ?
P.P. Le film est quand même assez nerveux, c’est un portrait chevillé à un corps, c’est assez immersif et contemplatif. Je voulais avoir une musique qui laisse un espace assez analogique assez doux et qui puisse ouvrir le champ à une forme de projection ou nostalgie, quelque chose qui porte le film de manière un peu plus étendu avec plus quelque chose d’un vent qui traverse le film sans forcement de végétal. Nous voulions des nappes ou des cordes qui puissent laisser la possibilité aux spectateurs de souffler un peu, d’accompagner l’état intérieur de Max tout en lui laissant la possibilité de prendre un peu de recul mais avec une forme de tendresse.
─ Vous montrez de nombreux espaces par le biais de grands plans fixes et en mouvement sans que cela permette d’identifier la ville de Marseille, était-ce une volonté de ne pas faire un film sur la ville de Marseille mais plutôt un film sur la Ville au sens large ?
P.P. L’idée n’était absolument pas de filmer Marseille mais une grande ville méditerranéenne qui aurait pu être Beyrouth ou une ville du sud de l’Italie. Aussi, je ne voulais pas refilmer des choses, même si elles sont très belles, comme la Cannebière ou le Vieux Port. Ce sont des images déjà connues dans le cinéma, je voulais un terrain neutre à l’image de cette place délaissée. Je ne voulais pas faire un film de banlieue, je ne la connais pas et je ne n’y ai jamais vécu. Je voulais faire un film populaire, dans un quartier en voie de développement et susceptible d’être gentrifié, c’était ça l’enjeu.
─ Ça aurait donc pu être une autre ville ?
P.P. À l’origine ça devait être Rome mais je n’ai pas pu à cause du Covid. En revenant en France nous avions plusieurs villes comme Perpignan ou Toulouse. Marseille était mon premier choix par sa végétation, son ouverture sur la mer et sa lumière que j’adore.
─ Pour en revenir à l’enjeu de gentrification, nous pouvons dire que c’est un film politique ? Dans le sens où il interroge sur le partage de l’espace commun ?
P.P. Oui il y a une forme de politique à différents endroits : dans le projet lui-même, dans le rapport au pouvoir, dans son rapport entre le domaine public et le privé. Le film questionne aussi la réappropriation du domaine public car avoir un jardin ouvert à tous qui serait un lieu d’accueil et d’échange c’est un projet politique.
Il y a aussi un projet politique dans la manière de rassembler les gens et de la notion de quartier. Comment sont réaménagées les villes aujourd’hui ? Où est placé l’argent dédié à ce réaménagement ? Qu’en est-il de la gentrification ?
Enfin il y a aussi une sorte de politique intérieure et personnelle concernant les choix que nous faisons. À différents degrés il y a différents gestes politique qui accompagne le film, d’ailleurs nous étions au festival du film politique à Carcassonne.
─ Il y a une scène où Paul (architecte interprété par Grégoire Oestermann) dit à Max que ce dernier est trop idéaliste pour le monde du travail. Qu’en pensez-vous ?
P.P. C’est vrai que beaucoup de gens le considère comme un idéaliste voir comme un utopiste mais moi pas tant que ça. Je trouve que son projet est assez réaliste. Ce n’est pas parce qu’il fait un jardin sans clôture, qu’il parle d’otium romain ou qu’il a envie de convoquer des notions d’agora que c’est forcément un idéaliste. Je le trouve plutôt réaliste, il veut juste accompagner la société à un autre endroit en abattant quelques frontières. Il veut faire un monde un peu plus cool en ce battant pour ça assez concrètement. Est-ce que c’est être idéaliste que de prôner des valeurs humanistes ? Pour moi pas forcément, et faudrait pas que ça le soit sinon la vie serait difficile.
─ Vous avez d’autres projets ? Vous parliez d’écrire un rôle pour Swann Arlaud.
P.P. Je suis à la fin du montage d’un documentaire autour de ma famille et moi, il s’appelle « Cerveaux ». C’est l’histoire d’un personnage qui a des problèmes professionnels et qui va sur la route pour rencontrer des amis et prendre du recul sur les conseils de son psy. Il va surtout essayer d’aller voir sa mère malade qu’il n’a pas vu depuis très longtemps. C’est le voyage d’un homme vers sa mère qu’il a du mal à rejoindre et qui finit par y aller juste avant sa mort. C’est un documentaire fictionnel plutôt marrant.
Je suis aussi en train d’écrire un film sur de la manière dont on peut s’en sortir aujourd’hui, où l’on observe de plus en plus d’écart entre les riches et les pauvres. Ça sera un film sur les combines. Je m’inspire d’histoires que je connais et qui me touchent.
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Entretien réalisé par Naomi Camara.
Crédits photos top et article : © Pyramide Distribution