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Aflam : le festival des cinémas des mondes arabes

Entretien avec...

Publié le : Vendredi 18 avril 2025

Du 19 au 27 avril 2024, retrouvez la 12ème édition du Festival Aflam.

Le festival Aflam 2025 débutera avec la section Vives Archives présentée dans plusieurs lieux à Marseille, dont le Vidéodrome 2, le Polygone étoilé et La Baleine. Ce programme se concentre sur l’histoire du cinéma, les échanges Sud-Nord et les enjeux des archives, notamment par le biais de films liés à l’héritage colonial et à la formation des cinéastes arabes en Europe de l’Est durant la guerre froide. Un focus particulier sera mis sur le cinéaste palestinien Kamal Aljafari. En parallèle, la Plateforme Internationale de Médiation proposera des réflexions autour de la médiation culturelle décoloniale.

À partir du 23 avril, le Mucem accueillera une large sélection de films récents, dont des documentaires et des fictions. Le festival s’ouvrira avec un thriller social, Seeking Haven for Mr. Rambo du réalisateur égyptien Khaled Mansour. D’autres films traiteront de l’émigration, des origines et des identités. L’actrice tunisienne Fatma Ben Saidane, invitée d’honneur, présentera trois films et une masterclass. Des réalisateurs seront également présents pour échanger avec le public sur leurs œuvres.

Retour sur la rencontre avec Mathilde Rouxel, directrice artistique du festival.

Toute la programmation du festival

─ Le festival démarre sur « Vives archives » qui s’étend de la création contemporaine à partir d’archives mais également sur la collaboration transnationale avec des programmes de courts-métrages nommé « Devenir cinéaste marocain en Pologne » et « Préserver les voix arabes : Réflexions sur la coopération internationaliste tchécoslovaque et l’héritage des cinéastes arabes à la FAMU ». 1

Mathilde Rouxel : C’est un programme qui a commencé il y a quatre ans et qui existe notamment grâce à un partenariat avec des salles non commerciales, comme le Polygone Étoilé ou le Vidéodrome 2.
Nous mettons en lumière les circulations transnationales des films et des cinéastes, en particulier dans les années 1970, à une époque où le cinéma constituait un outil essentiel pour exister, montrer d’autres réalités et raconter des récits alternatifs. L’année dernière, nous avions eu l’occasion d’ouvrir le festival sur ces réflexions : à la fois autour de la création, de la circulation, et de la manière dont, aujourd’hui, archivistes, chercheurs et artistes redonnent vie à ces archives.

Ça nous a aussi semblé pertinent de commencer en plus petit comité, pour réfléchir aux images du passé et du présent. Notamment au regard de l’actualité internationale, nous ressentons le besoin d’une profondeur historique. Le programme « Vives archives » permet cela : il nous aide aussi à prendre conscience que les récits souvent généralisants sur les cinématographies des mondes arabes sont très lacunaires, et que nos spéculations peuvent s’avérer erronées, voire dangereuses.

Ce programme permet de prendre le contrepied de ce qui est présenté à Cannes : des films majoritairement soutenus par la France ou l’Europe, qui accèdent au circuit de distribution, mais qui occultent une autre réalité — celle d’un cinéma indépendant qui existe bel et bien là-bas, notamment dans ses échanges avec l’Europe de l’Est (URSS, Tchécoslovaquie, Pologne, etc.).

Du Maroc jusqu’au Levant, on constate une véritable volonté, chez ces peuples nouvellement indépendants, de produire des images et d’apprendre, souvent avec des techniques éloignées des standards du cinéma occidental. Revoir ces œuvres nous permet de redonner de la profondeur à une histoire du cinéma que nous connaissons encore trop peu. Il est essentiel de poursuivre cette recherche, et de regarder ces films avec un intérêt à la fois curieux et rigoureux.

1 Dimanche 20 avril, 14h et 16h au Polygone étoilé

─ Au cours de ce cycle d’archives, il y une rétrospective consacrée à Kamal Aljafari.2

M.R.: Parler des archives, c’est aussi l’occasion de parler des artistes qui les font ressurgir, notamment autour des questions de réappropriation des récits importants. La question palestinienne est au cœur de nos préoccupations. Le recul que nous offrent les archives sur l’histoire permet d’ouvrir un dialogue avec des artistes dont les propositions ne peuvent guère être remises en question sur le fond. Cela nous aide à prendre de la distance face à la permanence de certains types de pensée.

Le travail de Kamal Aljafari est très engagé. Il a axé sa carrière sur la récupération d’images israéliennes et nord-américaines tournées sur le territoire palestinien, mais aussi d’archives palestiniennes détruites ou brûlées. Cela donne lieu à un dispositif cinématographique très contemporain, tout en mettant en lumière le fait qu’Israël procède, depuis 1948, à la destruction d’archives, à la récupération d’images qu’il utilise à des fins stratégiques. Dans leur propre création cinématographique, les Palestiniens, et la Palestine elle-même, sont souvent effacés de l’imaginaire israélien.

Kamal Aljafari travaille à faire réapparaître les figures palestiniennes derrière les récits israéliens. C’est une manière de parler de ce qui se passe aujourd’hui, sans être pris dans l’urgence d’un cinéma encore en train de se faire — un cinéma qui ne permet pas forcément d’avoir des discussions sereines sur une situation politique dominée par des forces elles-mêmes sujettes à controverse.

Sa présence en tant que cinéaste nous amène à nous poser une question essentielle : « Comment fabrique-t-on des images ? » Il développe une forme de cinéma expérimental, qui nous permet d’éviter des récits trop didactiques ou des fictions trop émotionnelles, susceptibles d’éclipser l’objectif politique. Sa manière de faire du cinéma expérimental est profondément militante, tout en utilisant un langage accessible à des personnes qui ne s’intéressent pas nécessairement au cinéma politique. Il a d’ailleurs reçu le Grand Prix du FIDMarseille, qui n’est pas un festival politique.

2 Lundi 21 avril, 18h au Polygone étoilé et 21h à La Baleine. Mardi 22 avril, 16h et 18h à La Baleine et 20h30 au cinéma Les Variétés

─ Cette année, la cérémonie d’ouverture aura lieu le 23 avril avec la présentation en avant-première du film égyptien Seeking Haven for Mr. Rambo de Khaled Mansour.3

M.R. : C’est un film de genre, qui flirte avec le thriller, mais qui aborde avec beaucoup d’humour les problématiques classiques de la société égyptienne : les rapports familiaux, les rapports de pouvoir au travail, ou encore les rapports de classes sociales. C’est un premier film, comme la plupart des fictions que nous avons présentées.

Il est intéressant de constater ce renouveau à travers des formes cinématographiques un peu détachées de ce que l’on a l’habitude de voir. Il n’y a ni misérabilisme ni visée commerciale trop marquée, et les personnages ne sont pas vraiment stéréotypés. En même temps, le film nous embarque grâce à une dimension universelle, à la fois par sa forme de thriller et par son rapport à l’animal, qui crée une vraie proximité.

C’est un film qui permet de s’attacher aux personnages comme on le ferait dans d’autres types de récits, sans avoir constamment à se rappeler qu’on est en Égypte, en 2024. Il ouvre un espace de spéculation, de rêve. C’est aussi pour cela que nous l’avons choisi pour l’ouverture : nous pensons qu’il peut toucher un public très large.

3 Mercredi 23 avril, 20h au Mucem. Entrée libre

─ Vous présentez en avant-première Fanon4d’Abdenour Zahzah.

M.R. : C’est durant cette même année 1956, à cette période où il travaille à l’hôpital psychiatrique. C’est un film très théâtralisé, qui permet de mettre en perspective sa philosophie et la situation de l’Algérie à ce moment-là. C’est un film qui a été difficile à terminer, et c’est également le centenaire de sa mort. Mettre en avant cette figure était essentiel ; pour nous, c’était aussi une manière de voir comment les Algériens perçoivent cette histoire.

3 Mercredi 23 avril, 16h au Mucem

© Shellac
─ Cette année, il y a beaucoup de films égyptiens. Comment expliquez-vous cette forte concentration et que cela traduit-il de la société égyptienne actuelle ?

M.R. : La question n’est pas d’avoir beaucoup de films égyptiens cette année, mais plutôt : qu’est-ce qui s’est passé ces cinq dernières années ? Cela fait plusieurs années qu’on se demande ce qui se passe. L’Égypte est un pays de cinéma avec une industrie très forte, et il existe de nombreuses écoles pour apprendre à faire des films. C’est un pays où l’on sait que la censure a été de plus en plus brutale et où les restrictions pour accéder à l’industrie sont devenues plus sévères. Désormais, il faut faire partie du syndicat des réalisateurs, ce qui complique les choses.

Cependant, c’est aussi un pays où les gens ont toujours raconté des histoires et fait des films. Recevoir cette année une vague de cinéma indépendant a été rafraîchissant. Cela nous avait beaucoup manqué. Cela montre la nécessité de faire des films indépendants dans la région, en se référant au circuit de soutien existant, notamment en Europe avec les festivals.

Finalement, ce sont des films qui ont mis beaucoup de temps à se réaliser. Ce ne sont que des premiers films, des premières tentatives avec des co-productions, car seuls, ils ne pourraient pas exister. Le cinéma offre aussi une forme de détente par rapport à ce qui peut être dit ou non sur le plan politique.

Cela s’est imposé de manière évidente, car les films sont très beaux. Les écoles de cinéma indépendantes proposent des formations de plus en plus professionnelles, afin de contrebalancer l’école officielle du Caire, qui forme l’industrie. Je pense que c’est une réalité que l’on perçoit aussi dans la région : la nécessité de produire plus d’images qui appartiennent aux pays arabes. Même si les films ont des difficultés à être produits en Égypte à cause de la censure, ils sont quand même financés par le Golfe et l’Europe. Cela montre que le cinéma est une arme culturelle, un « soft power ». On connaît les aléas de la politique et la possibilité d’utiliser la culture pour lâcher un peu de lest. En tout cas, c’est ainsi que je le comprends.

Dans le comité de sélection, Mohamed El Hadidi, cinéaste, a écrit pour le cahier d’Aflam un texte sur les deux fictions et décortique la difficulté de faire des films et leur nécessité. Après la révolution, beaucoup sont partis. Aujourd’hui, ce sont des films qui nous arrivent de cinéastes qui vivent encore en Égypte. C’est important de le souligner, car pour les films tunisiens ou syriens, les cinéastes sont en exil. Avoir le point de vue de quelqu’un qui crée sur place est un véritable intérêt pour nous.

─ Fatma Ben Saïdane, actrice et réalisatrice tunisienne est invitée d’honneur de cette 12ème édition. Pourquoi ce choix ?

M.R : C’est une actrice qui s’impose dans le cinéma tunisien. Même si elle a souvent été cantonnée à des rôles secondaires, elle possède une filmographie conséquente et, surtout, cette générosité, probablement liée à son arrivée tardive dans le cinéma, autour de 40 ans, après avoir eu une autre vie avant. Son engagement en tant qu’actrice est très fort : on la voit chaque année dans au moins un long-métrage et de nombreux courts-métrages. Elle est devenue une figure emblématique du cinéma tunisien.

Faire un focus sur son travail est compliqué, car on ne peut pas tout montrer et nous sommes également confrontés à la difficulté de présenter des films où elle apparaît à peine. Pourtant, elle a un visage que l’on repère facilement. Et c’est aussi sa personnalité très généreuse qui se distingue : elle s’engage pour la culture en Tunisie, qu’elle considère comme une forme d’éducation. C’est également cela que nous avons envie de raconter : comment les gens s’engagent sur place.

Au moment où nous préparions ce focus sur son travail, nous avons découvert que la cinémathèque tunisienne avait organisé une rétrospective intégrale de ses films. Cela nous permet aussi de refléter ce qui se passe actuellement. Nous avons besoin de figures aussi locales. Nous sommes très heureux de pouvoir l’accueillir.

─ Vous clôturez le festival avec Moondove de Karim Kassem, pourquoi ce choix ?

M.R. :

La production documentaire dans les pays arabes est très forte, mais nous voulions proposer de belles fictions en soirée, ce qui est le cas tout au long de la semaine, en clôturant avec un film marquant. C’est un film de voyage, qui nous éloigne de notre quotidien et de ce qu’on peut parfois rechercher dans les films en termes d’identification. Ici, on se retrouve dans une montagne libanaise, à un moment critique pour le village. Il raconte l’histoire d’une sécheresse et des moyens pour y faire face.

Dans les dynamiques humaines, avec un rythme très lent et très beau, on ressent une sorte de repos après toutes les discussions du festival. C’est un film qui nous éloigne de la violence, car au cours de la sécheresse, une pièce de théâtre se monte pour transcender les difficultés, et c’est aussi ce que nous essayons de faire avec le festival. C’est une manière d’incarner cette mission : ouvrir avec un film de genre et terminer, au contraire, avec un film beaucoup plus contemplatif, porteur d’un message d’espoir.

Malgré toute la violence que nous allons croiser, il y a la nécessité de voyager, et ce film nous y invite. Nous en sommes contents.

5 Dimanche 27 avril, 20h au Mucem

© Film Clinic Indie Distribution

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Entretien réalisé par Naomi Camara.

Crédits photos top et article : Les Miennes de Samira El Mouzghibati ©  Michigan Film Visualantics Productions – Seeking Haven for Mr. Rambo de Khaled Mansour © Film Clinic Indie Distribution – Fanon d’Abdenour Zahzah © Shellac

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