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“Atlantic Bar” : entretien avec Fanny Molins

Entretien avec...
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Publié le : Mercredi 22 mars 2023

À l’Atlantic Bar, Nathalie, la patronne, est le centre de l’attention. Ici, on chante, on danse, on se tient les uns aux autres. Après la mise en vente du bar, Nathalie et les habitués se confrontent à la fin de leur monde et d’un lieu à la fois destructeur et vital.

Retour sur notre rencontre avec la réalisatrice Fanny Molins, à l’occasion de la sortie en salles du documentaire ce 22 mars.

─ Pourriez-vous revenir sur la genèse du projet, comment avez-vous rencontré l’Atlantic Bar ?

Fanny Molins : Tout a commencé lors d’un atelier photo que j’ai suivi à l’occasion des rencontres d’Arles, car je suis photographe. Cela faisait très longtemps que je voulais traiter le sujet du bar de quartier, je voulais me faire le témoin de cette typologie de lieu qui disparaît. Enfin, je voulais interroger le rapport à l’alcoolisme. Très schématiquement, je voulais aller dans un lieu où il y a de l’alcoolisme, ou du moins où il y a des gens qui boivent en espérant qu’ils m’en parlent. Ça a commencé par une série de photos, je suis rentrée dans le bar et ça a matché tout de suite.

─ Comment avez-vous glissé de l’appareil photo à la caméra ?

F.M. : Techniquement, j’ai travaillé avec un chef opérateur donc je ne tenais pas la caméra. Il me montrait les cadres pour que nous puissions cadrer à deux, mais parfois, la vie nous rattrape, c’est un documentaire donc il a dû cadrer seul. Nous avions discuté en amont du type d’image que je voulais et finalement il y avait beaucoup de référence à la photo, à des photographes mais tout ça s’est fait avec lui très organiquement. Il y avait néanmoins une vraie volonté d’amener un œil photographique dans le film, c’est pour cela que l’on a beaucoup de gros plans immobiles sur des fragments, des mains, des verres, des détails, c’est comme ça que je fonctionne en photographie. J’aime l’attention au détail et je pense que dans ce projet-là, c’était intéressant : dans un bar, il se passe parfois des choses et parfois absolument rien. Beaucoup de choses se disent dans les silences, beaucoup de chose se lisent sur les corps et beaucoup de chose se nichent dans les détails. Ça marchait bien avec un travail photographique qui va s’intéresser justement à ces petites choses. Ça ne m’a pas semblé être une transition radicale, d’une part on peut faire ce que l’on veut quand on filme, on peut choisir son traitement d’image c’est semblable au travail photographique.

Finalement la plus grande différence, c’est la narration. Pour le coup la narration d’une série de photographies ne se travaille pas comme la narration d’un film. Comme je fais de la rédaction et que j’ai toujours écrit, c’est un exercice qui ne m’était pas complétement étranger. J’ai été très épaulée par ma productrice, j’ai aussi eu une aide au scénario donc j’ai bien été entouré pour faire cette transition-là.

─ En parlant du travail d’écriture, comment est ce qu’on écrit justement sur le réel d’un documentaire ?

F.M. :  L’écriture des dossiers documentaires généralement, c’est pour les financements, on sait très bien que tout ne va pas se passer. En revanche, on peut avoir un angle, c’est comme ça qu’on écrit un documentaire. On parle de cet angle-là, pourquoi vouloir filmer ça, pourquoi les filmer à tel moment, qu’est ce qu’on veut raconter, se sont des choses qui peuvent s’écrire. Initialement, tout mon dossier était autour des désirs et des rêves, c’était d’ailleurs un petit amalgame. Une fois que je suis arrivée sur le lieu du tournage il y a eu cette histoire de vente du bar qui nous est tombée dessus seulement 2 jours après notre arrivée, ça a vraiment changé le fil rouge. Cela m’a permis de me rendre compte que les rêves en tant qu’ambition n’étaient pas du tout quelque chose compris de la même manière par eux ou du moins je l’abordais avec mon prisme à moi et ça ne résonnait pas en eux. Même si on a envie de dire quelque chose, le réel nous apprend parfois qu’on était dans le faux ou qu’en-tout-cas qu’on ne l’abordait pas de la bonne manière et donc ca ne se passe pas et le dossier tombe à plat.

Le fait qu’il y ait eu cette vente de bar au milieu, ce fut un merveilleux cas d’école pour moi, car c’était trop gros pour qu’on ne le prenne pas et ça nous a forcés à être super flexible et à réinterroger en direct toute la démarche. Il se trouve, finalement, que le film qui se rapproche plutôt du dossier, puisque les désirs, les surplus de vie, l’alcoolisme et le rôle politique du bar sont des thématiques traitées. Il y a eu beaucoup d’émotion suite à l’annonce de la vente du bar, on était face à des gens qui voulaient nous raconter pourquoi ils allaient au bar et pourquoi c’était important pour eux, finalement les désirs vivaient beaucoup dans leurs témoignages. Il y a une certitude, c’est grâce à cet élément imprévu que l’on a pu avoir cette qualité de témoignage et non grâce aux questions issues de mon dossier. On n’écrit pas de scénario, ils nous demandent parfois des scènes écrites et des dialogues tout en sachant que c’est des choses imaginées, par exemple au lieu de donner des dialogues, j’ai retranscrit des dialogues que j’avais enregistré et entendu dans le bar.

─ Si nous revenons à votre rencontre avec ce lieu, qu’en est-il de celle avec Nathalie et Jean-Jacques ?

F.M. : Les premières semaines, Jean-Jacques ne me parlait pas vraiment c’est venu progressivement mais Nathalie m’a tout de suite charriée, certains des habitués aussi, je me suis tout de suite très bien entendue avec eux. Il y a eu cette série photo puis je les ai invités à l’exposition, ils sont venus et à partir de ce moment-là, il y a eu une bonne entente. À chaque fois que je revenais à Arles, je revenais les voir. Nous avons tissé une relation pendant 4 ans qui s’est transformée en relation amicale. Après cette série de photo, j’allais les voir alors qu’il n’y avait pas encore de projet de film.

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─ L’idée du film a donc été nourris par ces échanges ?

F.M. : L’envie est née lorsque je me suis rendu compte à quel point ces lieux étaient des lieux politiques. C’est l’un des derniers types de lieu dans lesquels on peut juste « être », vivre dans l’espace public. C’est de plus en plus rare de pouvoir ne pas consommer, ne pas utiliser ou expérimenter un lieu sans dépenser d’argent. L’Atlantic Bar en fait partie, je me suis donc rendue compte de la puissance politique de ce type de lieu et de son importance dans une ville comme Arles qui est en pleine gentrification et qui aujourd’hui est presque plus de l’ordre de la ville musée. C’est carrément un cas d’école, une sorte de laboratoire concentré dans une toute petite ville de ce que peut-être la gentrification à grande échelle sur une petite durée.

Il y a eu aussi la rencontre avec Nathalie et nos discussions autour de l’alcoolisme. Je voyais qu’elle était très lucide concernant son alcoolisme et ça ne l’empêchait malheureusement pas de subir sa maladie. Tout cela m’a donné envie d’écrire, avec comme un angle initialement celui du désir. Je voulais montrer les surplus de vie qu’il y avait dans ce bar et les mouvements qu’il y avait chez ce qu’on appelle les piliers de bar, un terme d’architecture. Il y a vraiment toute une imagerie du figé quand on pense au bar et à ces habitués. Je voulais montrer la vie qu’il y avait à l’intérieur dans ces lieux puisque c’est quelque chose qui m’avait vraiment sauté aux yeux. On ne les regarde pas, ce ne sont pas ni des gens qui sont visiblement dans la misère comme par exemple les sans-domiciles fixes qui sont identifiés ni des gens qui viennent d’un milieu socio-économique privilégié. C’est une sorte de ventre mou, plus du côté de la pauvreté, mais qui n’est absolument pas identifié dont personne ne fait attention alors que finalement entrer dans un bar, c’est prendre la température du monde, en tout cas du monde local dans lequel ces gens vivent. Donc je trouve que c’est un formidable laboratoire sociétal.

─ Donc vous avez suivi le lieu 4 ans dans le cadre de la photo mais le tournage a duré combien de temps ?

F.M. : Le tournage a duré 2 semaines et demie. J’ai fait des entretiens audios avec chacun puis j’ai écrit mon dossier, on est entré en préproduction, on a tourné fin juin 2021 on s’est arrêté début juillet 2021, on est reparti tourner 3 jours en octobre donc en tout on a tourné 2 semaines et demie ce qui est très court dans le cadre d’un documentaire.

Nathalie se démarque rapidement, était-ce un choix de votre part ?

F.M. : Ce n’est pas une volonté de départ même si instinctivement j’ai été attiré par elle. J’ai eu de l’alcoolisme dans ma famille chez les femmes donc elle m’a touché parce que c’était une femme qui parlait de son alcoolisme. Je voulais absolument en parler et il se trouve que, par la force des choses, elle a été la seule à évoluer en face de la caméra. C’est la seule qui a commencé d’un point A en arrêtant de boire à un point B où elle a repris, c’est elle qui allait bien au début, mal au milieu et mieux à la fin. C’est aussi elle qui me parle instantanément de ses émotions, elle me dit qu’elle n’est pas alcoolique puis la scène d’après on la voit ivre puis la scène d’après on la voit en parler et finalement c’est une réalité dans la fabrication du film : elle évolue face à nous. Les autres témoignaient plutôt de leurs vies d’avant et sont finalement et qui étaient dans des états plutôt figés. On nous racontait des vies mais il n’y avait pas d’évolution d’eux en face de la caméra et c’est ça qui l’a imposé en tant que protagoniste.

─ Pouvez vous nous parler du choix de l’affiche

F.M. : C’est une photo que j’ai prise d’eux, après leur avoir montré le film la première fois donc il y avait beaucoup d’émotion. Le choix s’explique parce que moi ce que je voulais raconter, c’est cette dualité que Nathalie a avec son bar. C’est une femme qui est une actrice, qui a besoin d’un public pour vivre c’est aussi une femme aussi très aimante, qui a besoin de s’occuper des gens donc elle a besoin de ce bar. D’un autre côté, c’est une femme qui est alcoolique et qui est patronne de bar et ça c’est toute la dualité qu’on trouvait très intéressante dans le film et qu’on a essayé de cristalliser dans l’affiche. Si tout le monde rigole c’est un film folklorique sur un bar mais justement ce n’est pas que ça, c’est un film sur le statut politique du bar et sur les combats internes d’une femme qui souffre d’addiction. Je voulais montrer cette tension. C’est pour cela qu’elle regarde la caméra sans sourire, je voulais raconter ce petit plus, montrer que ce film, c’est plus qu’une tranche de vie dans un bar.

─Vous avez d’autres projets ?

F.M. : Je ne peux pas trop en parler car ils sont encore trop naissants mais j’aimerais être à la frontière entre du documentaire et de la fiction, jouer un petit peu avec le genre et continuer d’aiguiser une esthétique de fragment et continuer à utiliser mon travail de photographe dans mon approche de l’image.

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Entretien réalisé par Naomi Camara.

Crédits photos top et article : © Les Alchimistes

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