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“Debout les femmes !” : entretien avec Gilles Perret

Entretien avec...
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Publié le : Mercredi 20 octobre 2021

Après J’veux du soleil (2019), un road-movie sur les ronds-points tourné pendant le mouvement des Gilets Jaunes, Gilles Perret réalise avec François Ruffin (Merci Patron !, 2016) un nouveau documentaire : Debout les femmes, en salles depuis le 13 octobre. Le film est construit autour d’une mission d’information parlementaire sur les métiers du lien, que le député François Ruffin se voit confier en cohabitation avec Bruno Bonnell, député macroniste. Au fil des rencontres et des témoignages récoltés, Debout les femmes est la mise au jour de ces femmes invisibles – femmes de ménage, auxiliaires de vie sociale, assistantes maternelles, accompagnatrices d’enfants handicapés – qui sont rémunérées à l’inverse de leur utilité sociale et vivent dans la précarité. Nous avons rencontré Gilles Perret à l’occasion d’une avant-première au cinéma Le César à Marseille, pour échanger sur ce documentaire poignant.

─  Vous travaillez avec François Ruffin depuis longtemps. Qu’est-ce qui a déclenché l’envie de faire ce film ?

Dès que François a été élu député, on a souhaité faire un film sur son travail à l’Assemblée, sur une loi, un projet de loi, quelque chose.  Mais rien ne trouvait grâce aux yeux de François pour porter un film à l’Assemblée Nationale, jusqu’au jour où il m’a appelé pour me dire : « J’ai une mission d’information parlementaire ».

─ Il était délicat d’imaginer un sujet cinématographique à l’Assemblée ?

Oui, on ne trouvait pas vraiment. C’était angoissant de se dire « Qu’est-ce qu’on fait dans l’Assemblée ? », sachant que le parcours d’une loi, c’est chiant… Puis concrètement, il ne se passe rien à l’Assemblée parce que les décisions sont prises par Macron. Comme le dit François, l’Assemblée est la chambre d’enregistrement des vœux du président. Il n’y pas de suspense, pas de quoi faire un film. Mais avec la mission d’information parlementaire, il y avait une possibilité d’aller dehors et de ramener ce qu’il avait vu dans l’Assemblée. Donc il y avait du dehors, du dedans et de la rencontre avec des gens, des vrais gens. Du coup, ça devenait un film. Puis le fait qu’ils lui aient mis Bruno Bonnell comme corapporteur, cela rajoutait de la complexité.

Justement, Bruno Bonnell, député macroniste, est un vrai personnage du film. C’est d’ailleurs amusant de noter son évolution, puisqu’au départ il est vraiment filmé comme un « touriste de la question sociale »…

Oui, le décalage est amusant car le personnage ne vit pas dans notre monde. À chaque fois qu’il fait des références, ce sont des références qui tombent à plat parce que les AESH (Accompagnante des élèves en situation de handicap) par exemple, elles s’en foutent des écoles de commerce ! Il fait des blagues de CSP+. Moi, après, ça me fait marrer, parce que j’estime qu’on fait tout de même partie de cette petite bourgeoisie.

─ Il a d’ailleurs accepté rapidement l’idée du film ?

Il a dit oui tout de suite. On voit bien que c’est un cow-boy. C’est quelqu’un qui n’a pas peur de la confrontation. Il était en débat pour le film avec nous il y a quelques jours à Lyon. La salle lui était évidemment plutôt hostile. Mais il a un côté « Peu importe qu’on parle mal de moi tant qu’on parle de moi ».

─ Mais finalement il évolue dans le film, pour des raisons qui sont expliquées. C’est d’ailleurs intéressant de voir comment il finit par s’emparer d’une rhétorique de gauche de façon très efficace, notamment face aux médias…

Oui, François le dit : « J’ai l’impression d’avoir recruté un super VRP, il vend mon produit mieux que moi » ! D’abord, il a davantage les codes des médias que François. Mais les arguments qu’il donne sont ceux de François qu’il reformule et ressort avec une vraie aisance… Puis, effectivement, quand c’est un gars de La République En Marche qui le dit, les journalistes l’écoutent différemment que si c’est François.

C’est pour ça que, dans nos films, on met rarement des étiquettes sur les gens qui parlent. Pour éviter que les spectateurs ferment les écoutilles. Cela nous est reproché parfois, par des militants qui nous disent : « Pourquoi vous ne dites pas qu’untel est à la CGT ? ». Mais je crois que politiquement, il vaut mieux amener les gens à une convergence de points de vue sur le côté dégueulasse de la situation de ces femmes plutôt que d’afficher les bannières. On amène plus les gens par les affects que par l’étiquette.

─ Comment est venue l’idée de la séquence de l’Assemblée des femmes, qui conclut le film ?

La raison première, c’est de finir en force, avec une note d’espoir. Quand François m’a proposé de suivre la mission, il m’a averti : « Tu sais qu’en fait, à la fin, ça ne servira à rien ? Ils vont tout balancer, comme ils ont l’habitude ». J’ai donc proposé dès le début qu’on fictionne la fin. Ma première idée était de mettre François et Bonnell à la tribune pour défendre leurs amendements, et en contrechamp les députés qui lèvent tous la main et qui adoptent. Mais François a refusé car cela les mettait trop en avant.

Donc nous avons trouvé cette idée de l’Assemblée des femmes, qui gagnent et prennent le pouvoir. C’est à l’image de la construction du film : au début, c’est François qui parle, puis petit à petit il s’efface, si bien qu’à la fin il est en costume de laquais de l’Assemblé des Femmes.

─ La séquence a été tournée dans l’Assemblée Nationale ?

 Non, c’était tourné au CESE (Conseil économique, social et environnemental). C’est là où il y a eu la Convention Citoyenne, dont Macron devait reprendre sans filtre les propositions… On se rappelle tous bien les magnifiques réformes écologiques qui ont suivi !

─ Comment s’est déroulé le tournage de cette scène ? Quelles indications aviez-vous donné aux femmes ?

En fait, elles se sont chacune appropriées leur rôle de députée le temps d’une journée. Nous avions distribué quelques rôles, comme la présidence de l’Assemblée à Annie, qui est auxiliaire de vie sociale. Puis d’autres comme Hayat, Assia, Martine avaient écrit un amendement. Mais nous avons laissé la possibilité de nous laisser déborder, et c’est ce qui s’est passé. C’était hyper émouvant, d’une force incroyable. On voit bien comme elles sont fortes quand elles sont toutes ensemble. C’est ce que dit la chanson « Le chant des femmes » : elles sont divisées, elles sont atomisées, elles sont toutes seules dans leur travail, et donc elles se sentent faibles et écrasées, mais ensemble, elles relèvent la tête. C’est l’exemple de Jeannette, elle rentre dans le film en se cachant, et le termine en haranguant la foule.

─ Je voulais revenir sur la mise en scène autour de François Ruffin. Il est représenté comme un député-citoyen mais aussi père de famille, au point de faire figurer un shampoing anti-poux au premier plan d’une séquence d’échange téléphonique par exemple. Pourquoi ce choix ?

Globalement, on ne se pose pas trop de questions. On a un rapport d’amitié, un rapport direct. Le procédé de tournage est simple : lui, moi et c’est tout. Du coup, François a l’habitude de tout mettre sur table : sa vie, sa cuisine, etc. Et sa vie, c’est celle d’un père de famille, qui bosse comme un malade, donc c’est quand même rock’n’roll. Il donne toujours son salaire aux associations. Il veut absolument garder les mains et la tête avec les gens. C’est pour ça qu’il est assez inattaquable. Même s’il se fait attaquer sans cesse ! Mais ceux qui l’attaquent sont ceux qui se sentent merdeux. Evidemment, tu te sens mal quand tu gagnes 6 000 euros et que tu as à côté de toi un député qui donne tout et qui garde juste le SMIC pour lui. Mais cela montre que c’est possible !

─ Vous évoquiez le procédé de tournage, comment vous vous répartissez les rôles justement ?

On dit souvent que lui c’est les oreilles et moi les yeux. Vu que je passe plus de temps au montage avec Cécile Dubois, qui est associée à ce film, je suis conscient de ces questions de rythme, d’esthétique. Je sais qu’il est important de prendre le temps de filmer trois mouettes, un port, même si François me dit qu’on n’a pas besoin de ça ! Mais il vient de la radio, du journalisme, c’est un rythme différent. C’est pour ça qu’on se complète bien. On a l’habitude de tourner ensemble. On se comprend en un coup d’œil, si par exemple je suis en retard sur un plan, il blablate un petit peu pour laisser le temps à la caméra d’arriver sur la personne au bon moment. On a ces facilités qui je pense se ressentent à l’écran, jusque dans les rapports avec les gens. Notre objectif est que le spectateur ait l’impression d’être à notre place.

─ On imagine d’ailleurs qu’avec la légèreté de votre dispositif de tournage, le film doit se construire au montage avec de nombreuses heures de rushes ?

Pas exactement. Avec J’veux du soleil (2019), il y avait le fil conducteur du road movie. Mais là, il a fallu réfléchir en amont pour rendre ce parcours de loi digeste. Il a fallu déterminer les étapes importantes, et surtout comment les mettre en scène pour qu’il y ait du suspense, de l’humour. Ce qui est agréable c’est que nous n’avions justement pas 12 000 heures de rushes ! Grâce aux rapports qu’on a construits avec les femmes du film – un rapport de proximité – les rushes étaient vite forts. Mais c’est aussi le contexte qui fait ça. Quand tu filmes pendant le premier confinement, chez des gens qui ne voient personne, c’est propice à libérer la parole. Cela avait été la même chose avec les Gilets Jaunes, qui était un moment de libération. On a très vite récolté des paroles fortes, riches, en assez peu de temps.

─ Quand on réalise un film comme celui-ci, sur une thématique qui nécessite de faire bouger les lignes, qu’est-ce qu’on attend du film ?

Avant tout, on fait un film, pas un tract politique. C’est-à-dire qu’on cherche que le spectateur soit pris dans cette histoire, qu’il pleure, qu’il rie. Je revendique ce statut de cinéaste, même si je n’aime pas forcément le terme.

Après, que le film devienne un outil politique, oui ! Je suis persuadé que le public va en apprendre davantage sur le statut de ces femmes. Que les gens qui les emploient, qui ont des parents, oncles et tantes qui sont pris en charge vont découvrir le quotidien de ces femmes. Quand on montre les choses, cela remue toujours. Au plus les gens sortiront émus ou en colère de ce film, au plus les initiatives du gouvernement visant à précariser le quotidien seront mal perçues.

Et malheureusement, la seule chose qui peut faire avancer ce gouvernement, duquel on ne peut rien attendre, c’est la mauvaise conscience. C’est exactement ce qu’il s’est passé avec les auxiliaires de vie sociale – comme dit dans le générique – ce n’est pas l’Assemblée qui a voté l’enveloppe de 200 millions d’euros, mais juste Macron qui s’est dit : « Il faut faire quelque chose, ça va finir par se voir ». Ils ne réagissent qu’à l’affect. Mais le véritable enjeu reste d’inscrire dans la loi un statut équivalent pour tout le monde, pas attendre qu’untel donne 100 balles.

─ Puis la sortie du film est l’occasion de braquer un projecteur sur le quotidien extrêmement précaire de ces femmes, même s’il parait difficile d’obtenir quelque chose.

Oui, François fait le tour des matinales, ça peut faire changer les choses. On ne peut pas partir défaitiste. Le mouvement des Gilets Jaunes n’était pas écrit, Nuit Debout non plus. On ne sait pas à quoi le film peut donner naissance. Par exemple, un collectif s’est greffé à certaines séances, et ce groupe de femmes grossit au fur et à mesure. Elles sont maintenant 5 500 auxiliaires de vie sociale, alors que ce n’est pas une population habituée à se rassembler, à se syndiquer. Cela crée des rencontres, elles se sentent soutenues.

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Entretien réalisé par Sylvain Bianchi.

Crédits photos top et article : © Gilles Perret – Les 400 clous

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