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“Laurent Garnier : Off The Record” : rencontre avec Laurent Garnier et Gabin Rivoire

Entretien avec...
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Publié le : Mercredi 8 décembre 2021

Il y a plus de trente ans émergeait entre les États-Unis – Chicago, New York, Detroit – et l’Europe – Londres, Manchester, Berlin – le phénomène techno. Laurent Garnier était déjà là, alors aux platines de l’Hacienda à Manchester dans les années 1980. Depuis, il est devenu une référence, le “DJ des DJs” comme le surnomme Jeff Mills, autre figure emblématique du mouvement. C’est au croisement de la vie de Laurent Garnier et de la diffusion mondiale de la techno que se situe le documentaire Laurent Garnier : Off The Record signé par le réalisateur Gabin Rivoire, dont c’est le premier long métrage. Un film qui retrace l’histoire d’une musique devenue phénomène mondial mais pas encore débarrassée de quelques stigmates qui lui collent à la peau. Le 8 décembre, le film est disponible en coffret DVD/Blu-Ray, après une tournée de séances événementielles en salles, notamment au cinéma Les Variétés à Marseille où nous avons rencontré Laurent Garnier et Gabin Rivoire pour discuter du film.

Vous portez ce projet d’amener la techno au cinéma de longue date. Je me suis même laissé dire qu’il y avait au départ une envie de fiction en plus du documentaire…

Laurent Garnier : En fait, je suis parti en Angleterre avec les deux projets sous le bras, et j’ai rencontré Featuristic Films. On s’est dit qu’on allait d’abord travailler sur le documentaire, qui pourrait nous aider ensuite à développer la fiction.

Vous avez dû vous rendre en Angleterre car il n’y avait pas de partenaires intéressés en France ?

LG : Si, j’ai été approché par plusieurs personnes en France mais leur idée était de faire un film sur moi, moi et moi ! Je ne me suis pas senti en confiance. Donc j’ai approché Gabin, qui avait fait les vidéos du festival Yeah ! que je coorganise à Lourmarin. J’aimais beaucoup son travail, même s’il n’avait pas fait de long métrage. Et cette aventure a commencé comme ça.

En effet, plus que votre histoire personnelle, l’angle du documentaire mêle votre biographie à celle du mouvement techno.

LG : Oui, Gabin a lu ce que j’avais écrit sur la techno (Electrochoc, l’intégrale 1987-2013, livre de David Brun-Lambert et Laurent Garnier, Flammarion), et à partir de là nous sommes partis ensemble, il a commencé à filmer et c’est vrai que le synopsis est arrivé bien plus tard, au bout d’un an et demi.

Gabin Rivoire : Au tout début, c’était « Il se passe des choses dans la vie de Laurent, donc il ne faut pas le louper ». Je crois que le premier moment c’était la cérémonie de décoration de la Légion d’honneur, on s’est dit que ce serait trop bête de ne pas avoir d’images de ça, donc on s’est mis à filmer. Au départ, je ne connaissais rien à la techno, je voyais vaguement qui était Laurent Garnier !

Le film a également bénéficié d’un énorme soutien, à l’image du financement participatif sur Kick Starter…

LG : Oui, c’était génial. On avait envie de faire un film élégant et de pouvoir se permettre d’avoir la musique et les images d’archives qu’on voulait. Raconter l’histoire d’un mouvement qui a trente ans sans images d’archive, ça ne marche pas ! C’est grâce aux « kick starters » qu’on a eu toutes ces images d’archive.

GR : Le soutien des « kick starters » nous a aussi permis d’être moins dépendants des diffuseurs, et donc de gagner en liberté au niveau de la forme, sans avoir quelqu’un en salle de montage qui te dit quoi faire.

Justement, sur la manière dont vous avez envisagé la forme du documentaire, quels écueils vouliez-vous évitez ?

LG : Je voulais surtout éviter quelque chose de totalement chronologique. Quand je regarde un documentaire chronologique, souvent je m’intéresse au début et après je finis par décrocher, surtout quand cela traite de choses que je connais. Il faut briser la chronologie à un moment, faire respirer les gens.

GR : Pour ma part, je voulais aller dès le début contre tout ce à quoi on peut s’attendre dans un film sur la techno. C’est toujours pareil, et ça me fait chier : tu vas avoir un truc super « clipé », avec des images, des mains en l’air, de la grosse musique.

Ce qui est plutôt réussi au niveau de la première chanson, puisque le film s’ouvre sur La Belle vie de Sacha Distel !

LG : Et avec un tracteur ! (rires)

GR : La première scène avec le tracteur c’était vraiment ça, une volonté de prendre la direction opposée à ce qu’on a l’habitude de voir. Après je voulais éviter d’avoir une voix off ou autres structures narratives et procédés trop télévisuels.

J’aime énormément cette montée en puissance du film au fur et à mesure qu’on suit l’ascension du mouvement techno. On part de la marge et on arrive à une diffusion massive. Certaines étapes de cette histoire prennent davantage de place, j’ai notamment en tête les séquences consacrées à Détroit, et trente ans après au club Bassiani en Géorgie. Quels liens faites-vous entre ces deux séquences ?

LG : Cela raconte beaucoup de choses. J’ai toujours défendu la musique de Détroit, j’ai un amour infini pour cette musique. Tous les gens fantastiques que j’ai rencontrés là-bas m’ont beaucoup touché. Ce sont des guerriers urbains. Dans l’histoire de cette musique, il y avait New York, il y avait Chicago, et il y avait Détroit. Tu parlerais à DJ Deep, il te parlerait de New York. Moi, dans ma vie, c’est Détroit qui est important.

En fait, il y a une grande résonance entre Détroit et Bassiani, à trente ans d’écart. Pour des histoires politiques, pour des histoires de droits, de droits humains, ça résonne. Alors c’est vrai que Bassiani, on y a été sans savoir ce qu’on allait trouver. Quand on est arrivé, il y avait une manifestation parce qu’il y avait un film – sublime d’ailleurs (Et puis nous danserons de Levan Akin, 2019) – dans lequel il y a une scène gay tournée dans le club. Il y avait des espèces de fachos qui avaient bloqué complètement la ville. Donc tu arrives là-bas, tu te dis : « Ouais, d’accord, il va vraiment falloir qu’ils continuent à se battre, les gars, parce que là c’est pas gagné ». Et tu retrouves quelque part l’urgence de Détroit d’il y a trente ans.

Rien que la scène de manifestation – 48h d’occupation rythmées par de la musique techno – organisée devant le Parlement géorgien en réaction à la descente de police dans le Bassiani est assez dingue…

LG : C’est génial, et je pense que c’est important, parce que c’est le genre de séquences qui vont aller résonner chez des gens qui n’ont peut-être aucune idée de ce qu’est le monde de la techno. Ils vont se rendre compte qu’il faut prendre ça au sérieux. Tu vois, tout ce débat : « Est-ce que le dancefloor doit être politique ou pas politique ? » Il est éminemment politique, bien sûr ! Et c’est vrai que Bassiani en est la preuve vivante, mais il y a plein d’autres endroits comme ça et heureusement.

La première phrase du documentaire, prononcée par Laurent, est : « Je suis allé vers la house parce que j’étais un vrai mélomane ». C’était une volonté de démonter directement les clichés, notamment contre ceux qui peuvent caricaturer la musicalité de la techno ?

GR : Quand je suis tombé sur cette phrase au montage, je me suis dit que c’était clairement la porte d’entrée du film. Quand tu vas chez Laurent, tu vois ses vinyles, tu te rends compte de sa culture musicale. Il connaît tous les styles et effectivement la house pour lui, c’est le bout du chemin. Pour moi, un courant musical est forcément influencé d’une manière ou d’une autre par tout ce qui s’est fait avant. Si tu aimes la musique, tu es évidemment conscient qu’il y a des choses intéressantes dans tout.

LG : Et je voudrais ajouter que c’est très rare les mouvements musicaux comme la house où tu as clairement un mélange entre la musique blanche et la musique noire. À la limite, cela peut être le cas du rock’n’roll, parce qu’ils viennent du R’n’B, du blues et tout ça, donc ils ont un vrai côté noir, mais c’est très, très rare. Le hip-hop, c’est fondamentalement black, le jazz, c’est fondamentalement black… Et c’est vrai que dans la techno, je sens autant le jazz que la musique hyper froide, synthétique. N’importe quel mec qui n’a jamais écouté de techno, je parle un quart d’heure de musique avec lui et je peux trouver une clé pour lui faire écouter un truc qu’il ne va pas me balancer à la gueule. (rires)

Dans une séquence, on vous voit vous préparer à jouer au Sonar, un des plus grands festivals européens, tel un sportif qui va rentrer sur le terrain. On sent également beaucoup de stress avant de monter sur scène. Vous parlez du « premier morceau », que vous dîtes décisif. Je me demande comment vous le choisissez, et à quel moment vous vous dîtes : « ça va être celui-là » ?

LG : Jamais (rires).

GR : Une seconde avant (rires).

LG : Vraiment, c’est hyper difficile. De redémarrer, d’enchainer après un DJ qui vient de terminer son set. C’est comme si le mec avait fermé un livre, et toi tu ouvres un nouveau bouquin et reprend tout à zéro. On est sur une page blanche, et ça c’est difficile. Très souvent, je prépare deux ou trois morceaux, je me dis « C’est celui-là, c’est celui-là, je sais que c’est celui-là », et en fait je mets l’autre (rires). Il n’y a pas de clé, c’est hyper difficile. Il n’y a absolument aucune formule magique, ça ne marche pas.

GR : C’est pour ça qu’il est autant en stress, avant (rires).

Vous êtes toujours aussi stressé avant de jouer aujourd’hui ?

LG : De plus en plus. Parce que j’ai l’impression d’avoir une tâche de plus en plus lourde. Plus les gens te regardent, plus ils font attention à toi, plus ils attendent quelque chose, et tu n’as pas envie de les décevoir.

Là j’ai joué à Barcelone, samedi dernier, j’étais en stress, quand je suis arrivé derrière les platines ! Les dix premières minutes, tu ne peux même pas me parler, je n’entends rien, je ne vois rien. Et puis, au bout d’un moment, je joue un disque, je vois ce qu’il se passe sur la piste, et je me dis « ça y est, on y arrive ». Et après c’est magique.

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Entretien réalisé par Sylvain Bianchi.

Crédits photos top et article : Laurent Garnier : Off the Record de Gabin Rivoire © Condor Distribution

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