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“Falcon Lake” : entretien avec Charlotte Le Bon

Entretien avec...

Publié le : Mercredi 7 décembre 2022

Librement inspiré du roman graphique de Bastien Vives Ma Sœur, Falcon Lake est le premier long-métrage réalisé par Charlotte Le Bon.

Retour sur notre rencontre avec la réalisatrice Charlotte Le Bon et François Choquet co-scénariste.

─ Pourquoi avez-vous choisi, pour votre premier long-métrage, une adaptation littéraire ?

Charlotte Le Bon : Je n’ai pas le parcours typique de la réalisatrice qui veut l’être depuis sa plus tendre enfance, ça s’est défini dans le temps en essayant plusieurs choses. Je viens des arts visuels, j’ai toujours voulu raconter des histoires à travers des images. J’ai l’impression que je suis devenue actrice par hasard, en faisant ce métier je ne savais pas s’il me plaisait vraiment ou pas. J’ai tourné dans une vingtaine de films en 10 ans durant lesquels j’ai beaucoup appris. Puis tranquillement un désir a commencé à naitre et c’est devenu comme une urgence : il fallait vraiment que je passe de l’autre côté, que je me lance.

L’adaptation c’est un peu un coup de chance, Jalil Lespert avec qui j’ai travaillé en tant qu’actrice sur Yves Saint Laurent est venu me voir pendant que je montais Judith Hôtel. Il se lançait dans la production, m’a tendu la BD en me conseillant de la lire, il pensait que ça pourrait faire un bon premier long métrage. Je l’ai lue et j’ai accepté dans la foulée car je trouvais qu’il y avait un énorme potentiel cinématographique, j’étais certaine de pouvoir me le réapproprier. C’était en 2018, il m’a fallu 2 ans pour y arriver.

─ Comment vous l’êtes-vous réapproprié ?

C.LB. Il y a beaucoup de gens qui pensent que c’est plus facile de partir d’un matériel comme une BD parce que c’est déjà visuel mais quand j’ai rencontré Bastien Vives (l’auteur de la BD Ma sœur dont le film est librement inspiré) il ne pensait pas que son livre ferait un bon film. Au début, je pensais que c’était un genre de défi qu’il me lançait et effectivement, lorsque j’ai commencé l’écriture du film pendant 2 ans, je n’ai pas trouvé de financements. Je n’arrivais tout simplement pas à me réapproprier l’histoire qui finalement est un récit d’apprentissage un peu commun déjà transposé plusieurs fois au cinéma. Je me suis alors questionnée sur ce qui m’avait donné envie de faire ce film et sur ce que j’avais de singulier à apporter. C’est à ce moment là que j’ai rencontré François Choquet. Ensemble on a réussi à trouver la vraie couleur du scénario, qui est celle du film aujourd’hui.

─ Comment s’est passé l’écriture du scénario à deux ?

François Choquet : Nous avons beaucoup parlé et échangé, nous nous sentions assez libre de dire des bêtises et dans l’écriture c’est libérateur de tout se dire, même quand c’est ridicule. Nous avions cette relation où l’on se permettait de dire des choses bêtes que nous oublions instantanément puis parfois cela débloquait quelque chose et que ça nous permettait de trouver de bonnes idées.

C.L.B. C’est vrai, je ne sais pas combien de phrases j’ai commencé par : « c’est peut-être nul mais voici mon idée ».

F.C. Pour parler du scénario, je pense que le film est teinté de quelque chose d’un peu sombre car nous avons commencé l’écriture en février 2020, soit juste avant les premiers confinements. Nous suivions les informations tous les jours, d’un peu loin car nous étions déjà dans l’univers du film, en essayant de se projeter dans les mois à venir mais tous les jours on entendait la fermeture des frontières. Cela a donné une teinte un peu plus sombre car nous étions inquiets, nous avons pu creuser plus profondément qu’une simple histoire d’apprentissage.

─  Qu’avez-vous ajouté au scénario ?

C.L.B. Il n’y a pas d’histoires de fantômes ni d’étrangeté, il n’y a pas ce jeu avec la main ni celui de la pire peur dans la BD. Tout ce qui tourne autour des peurs, des craintes n’existaient pas. La fin aussi est différente.

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─ Ce sont vos propres fantômes ?

C.L.B. Oui en partie. Je suis fan de films de genres depuis toujours, mes premiers chocs cinématographiques étaient les films d’horreur et je flirte avec ça dans Falcon Lake. C’est loin d’être un film d’horreur mais on flirte avec des codes. François m’a vraiment encouragée à aller complétement là-dedans en allant puiser dans des choses qui m’inspiraient, des choses que j’avais envie de voir au cinéma et c’est vraiment lui qui m’a tenu la main pour me mettre sur les bons chemins et trouver les bons outils, il a vraiment été un excellent guide et une excellente muse.

─ Vous aimez les histoires de fantômes, quelles sont vos inspirations cinématographiques ?

C.L.B. J’aime beaucoup l’univers d’Ary Aster et celui de Robert Egger qui a réalisé The Witch. Pour Falcon Lake mes référence étaient Take Shelter de Jeff Nichols que j’ai adoré, Call Me by Your Name et Ghost Story de David Lowery ou encore American Honey d’Andre Arnold pour le dynamisme et la vie entre les adolescents que je trouvais vraiment chouette. My Summer of Love de Pawel Pawlikowski aussi tourné en super 16 avec Emily Blunt sur une sublime histoire d’amour entre deux ados dans les campagnes anglaises.

─ En regardant votre premier court-métrage, on retrouve ces thématiques-là.

C.L.B. Judith Hôtel c’était la création d’un monde à peu près cohérent dans un concept qui ne l’ai pas du tout, c’était ce qui me plaisait. Dans Falcon Lake je ne voulais pas ajouter des fantômes seulement parce que j’aimais bien, comme un arbre de Noël qu’on décore un peu trop. Je voulais que ça puisse être un lien tout au long du récit et qu’à la fin quelque chose se boucle.

L’adolescence c’est une période qui ,pour moi, a été quelque chose d’assez difficile, pas très lumineux. Je trouve que les films que l’on voit aujourd’hui et qui traitent du sujet sont assez naïfs et innocents, je ne me reconnais pas dedans et j’avais justement envie de créer un univers où l’adolescence a quelque chose de mélancolique, joli mais tranchant par moment. C’est aussi les premières pulsions sexuelles. C’est quand même un film sur l’éveil sexuel et je me rappelle qu’à l’époque c’était quelque chose qui me terrorisait sentir le désir des autres sur moi. J’ai donc utilisé cette histoire de fantôme qui plane tout au long du film, on ne sait pas si c’est vrai, comme un miroir intéressant entre ce qui se passe à l’intérieur du personnage principal.

─ Ce film expose l’intimité d’adolescents, comment avez-vous appréhendé ces scènes ?

C.L.B. Je pense que mon expérience d’actrice m’a aidé car parfois, dans des scènes intimes, je ne me sentais ni à l’aise ni en sécurité. C’était alors primordial que les acteurs se sentent en sécurité, nous avions une vraie relation de confiance que nous avions créé en amont du tournage. Il ne s’agissait pas juste parler du film, nous avons parlé d’eux et de moi, je me suis beaucoup livrée en racontant mes traumatismes et humiliations. Je leur ai aussi demandé s’ils préféraient les jouer au début ou à la fin du tournage, ils souhaitaient le faire au début.

Et surtout je ne voulais pas sacraliser les scènes intimes, je ne voulais pas qu’au moment venu ils soient crispés, je voulais les aborder sans tabou, comme les autres scènes. Évidemment c’était en plateau réduit et certaines scènes sont un peu chorégraphiées pour les décomplexer le plus possible.

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─ En parlant des acteurs, comment avez-vous rencontré le jeune Joseph Engel ?

C.L.B. C’était en 2018, je faisais partie du jury du festival des Arcs, il y avait L’Homme fidèle de Louis Garrel en sélection et Joseph avait un petit rôle dedans. Il avait 10 ans et j’en étais à la première version du scénario, je l’ai vu et j’ai eu un coup de cœur, pour moi c’était une évidence. Nous avons démarché ses parents qui ne voulaient même pas lire le scénario, je l’ai réécrit et renvoyé, ils ont fini par accepter. Je pense que Joseph s’est identifié au personnage de Bastien. J’ai beaucoup échangé avec lui, il m’a inspiré pleins de choses, par exemple j’ai appris qu’il prenait des cours de hip-hop, ça m’a inspiré la scène de danse. C’est aussi lui qui m’a montré le manga L’Attaque des Titans car ça ressemblait au défi de la douleur. C’est étonnant car c’est quelque chose que nous avions écrit avec François sans savoir ce que ça symbolisait c’était juste une idée. Dans l’animé ils se mordent et se transforment, il y a cette idée de mutation que je trouvais très intéressante.

─ Pourquoi avoir tourné en pellicule ?

C.L.B. J’avais déjà tourné mon court-métrage en pellicule, j’étais habituée à cette façon de travailler. Je trouve qu’esthétiquement c’est incomparable au numérique. C’est un film sur l’éveil de la sensualité et la nature, il y a une qualité au niveau des textures de peau, des brillances de la lumière, des noirs et des couleurs qui est inimitable avec le digital. Ça instaure aussi une discipline sur le plateau car on a un matériel physique à respecter donc on ne peut pas se permettre d’être dans une boulimie de prise ou de parler pendant qu’on tourne, il faut être concis. J’étais forcée de ne pas trop découper, c’est un exercice qui me plaisait bien.

─ L’expérience semble concluante, vous allez continuer la réalisation ?

C.L.B. Avec François, nous sommes en train d’écrire un deuxième film : c’est très librement inspiré d’un de mes amis qui a passé 3 mois dans un appartement hanté dans la ville de Québec.

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Entretien groupé réalisé par Naomi Camara.

Crédits photos top et article : © Tandem

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