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18e Rencontres Films Femmes Méditerranée

Entretien avec...

Publié le : Mardi 14 novembre 2023

Retrouvez les Rencontres Films Femmes Méditerranée du 18 au 24 novembre*, avec une cinquante de films à l’affiche et une quinzaine d’invité.es dans 6 cinémas marseillais.

Retour sur notre rencontre avec Mériem Rabhi et Christine Ishkinazi, programmatrices.

* Une programmation “hors les murs”, dans des cinémas hors Marseille est en cours de finalisation

─ Cette année, la 18ème édition des Rencontres Femmes Films Méditerranée s’ouvre avec le film Sambizanga1 de Sarah Maldoror, une cinéaste longtemps invisibilisée.

Christine Ishkinazi : Nous avons choisi Sarah Maldoror à l’unanimité, au sein de notre collectif de programmation. C’est une cinéaste que nous trouvons passionnante et justement, comme vous le disiez, qui est invisibilisée pour des raisons très compliquées. Il y a la nature de ses films qui sont politiques, sans être militants au sens « cliché ». Ils abordent la question des luttes anticoloniales. Il y a aussi les formats qui ne sont pas vraiment ceux du cinéma, elle a travaillé pour la télévision sans aucune hiérarchie par rapport à l’ensemble de sa carrière cinématographique. Elle est donc en marge de la production cinématographique.

Par ailleurs c’est une femme de couleur, une légende dit que c’est la première cinéaste africaine alors qu’elle ne l’est pas. Elle a fait des films sur le continent africain, qui retracent les luttes anticoloniales mais elle est française, son père est guadeloupéen et sa mère gersoise.

Sambizanga est son 3ème film, il retrace la quête d’une femme en recherche de son mari, un combattant anticolonial angolais. Martin Scorsese est tombé amoureux de ce film, qui a d’abord été primé à sa sortie puis entièrement engloutit vraisemblablement à cause de son contenu. Il a fait restaurer le film ce qui est pour nous un événement.

Mériem Rabhi : Annouchka de Andrade présentera les 3 films de Sarah Maldoror (c’est sa fille et en quelque sorte l’héritière spirituelle). Il y a eu une rétrospective de son travail au palais de Tokyo (du 26/11/2021 au 13/03/2022) qui était une exposition à son image : multiformes et multiformats. Ce choix était aussi une manière d’amener son cinéma hors de la capitale, notamment car c’est une réalisatrice qui a une forte présence si ce n’est méditerranéenne, marine. Elle est guadeloupéenne et beaucoup de ses films s’intéressent à la poésie et aux poètes antillais. Elle a réalisé des films en Algérie, et a travaillé notamment avec Smaïn Faïrouze, présent pour certaines séances, en adaptant un livre Akli Tadjer 2 lui aussi présent. Il y a quand même un lien et une volonté de la part du comité de programmation de mettre en valeur justement une réalisatrice qui, comme souvent avec les cinéastes noirs en France et notamment les femmes noires sont effectivement invisibilisées pour de multiples raisons. Je pense aussi à sa radicalité, qui ne devait pas aller en sa faveur.

─ Comme vous le disiez, son film est politique, cela donne le ton au reste de la programmation. Pourriez-vous nous en dire plus concernant les autres thématiques que nous pourrons retrouver dans son œuvre ?

C.I : Nous avons 4 séances, la première c’est l’événement Sambizanga, film politique certes mais où la question de la poésie est très présente. D’ailleurs elle s’est choisi le nom Maldoroe, qui vient du titre des poèmes Lautréamont « Les chants de Maldoror ». Nous avons une séance « Sarah Maldoror à la Méditerranée » avec Le Passager du Tassili précédé de la projection du court-métrage Scala de Milan A.C.3 qui mélange opéra et football. C’est dire comment chez elle, les territoires imaginaires peuvent se construire. Il y aura aussi une séance 4 au Vidéodrome 2 où nous avons des portraits de poètes qui étaient ses amis et avec lesquels elle a réalisé ces courts-métrages. Enfin, nous avons une séance du film Un dessert pour Constance 5 c’est un film des années 1980 précédé de la projection d’un clip sur la chanteuse haïtienne Toto Bissainthe. C’est un film sur la solidarité, l’amour des mots et du jeu.

M.R : Maya Mihindou nous fera l’honneur de sa présence, elle activera un jeu de carte réalisé à l’occasion de l’exposition au Palais de Tokyo. C’est une artiste marseillaise que nous avons invité avec l’idée que Sarah Maldoror ne se limite pas à des formats. Nous souhaitions être dans un autre rapport au public, avec l’activation de l’art, l’engagement et les propos qu’elle portait dans ses films.

C.I : Oui c’est très important l’idée que Sarah Maldoror est dans les arts, entre art plastique, poésie et théâtre.

M.R : Je trouve très intéressant d’avoir une cinéaste qui ne se limite pas à un format, à un médium.

─ Comment avez-vous construit le reste de la programmation ?

M.R : En termes de programmation, nous fonctionnons plutôt sur un système de panorama, mot que j’emprunte à Ambre Veau (programmatrice) de ce qui se fait en festival. Il y a beaucoup de visionnages, nous essayons de capter quels films pourraient rentrer dans notre ligne éditoriale : des réalisatrices du berceau méditerranéen et plus si affinité. Ensuite, la programmation se fait d’abord à tâtons puis par une accumulation, et petit à petit, par les échanges avec Ambre et Christine nous commençons à sortir quelques films. Enfin il y a un comité de visionnage estival à qui nous proposons une présélection. C’est à la fin de ce travail collégial de longue haleine que se dessine petit à petit une programmation où le thème finalement n’est pas à priori mais au fur et à mesure que nous trouvons des affinités de films et de rencontre de film, de thématiques et trajectoires qui nous touchent.

Il y a toujours quelque chose de politique, ne serait-ce que dans le nom et aussi dans les films qu’on choisit. Cette année nous avons mis en avant des trajectoires qui ne se veulent pas individuelles, où la libération passe par la solidarité et le collectif. On ne se libère pas seul.e mais en rejoignant l’autre, c’est en rencontrant l’autre que naissent des moments de joie, de la souffrance née des résistances. On retrouve des façons de s’autodéterminer de manière à pouvoir s’émanciper d’environnements qui voudraient réduire les trajectoires des individus présents dans ces films à des assignations selon leurs origines ou genres. C’est vraiment ce que porte le festival.

─ En parlant de programmation je voulais également aborder le genre de film, avec la présence remarquée des documentaires, notamment via le prix France 24.

M.R : À titre personnel, et j’ai l’impression que c’est partagé avec Ambre et Christine, je trouve que la frontière du genre se brouille, s’efface, à un moment donné lorsque l’on regarde beaucoup de films.

Cela reste important de le dire quand c’est l’un ou l’autre, néanmoins à chaque fois on a à faire à faire à des personnages, des trajectoires et finalement même quand c’est du réel, il y a des choix de cadrage, de montage. Le film à un début et une fin ce qui n’est pas le cas forcement des personnes que l’on voit à l’écran, leur vie ne commence pas au début du film (rire). Hassen Ferhani, réalisateur algérien, disait qu’à force de regarder des films, il ne faisait plus trop la différence entre documentaire et fiction puisqu’il s’agissait juste de récits. Je pense que c’est important de garder en tête que même un documentaire reste un récit qui passe par le regard de beaucoup de gens, à savoir la personne qui tient la caméra, les producteurs.trices derrières ou la personne qui est devant la caméra et qui va montrer quelque chose d’elle. Nous ne faisons pas de hiérarchisation entre les deux. Nous cherchons la plasticité, mais aussi un propos, une narration. Parfois la qualité n’est pas forcément égale, mais tous ces aspects peuvent être cohérents sur des sujets que nous avons envie de porter et partager.

C.I : Il y a des cinéastes qui naviguent entre fiction et documentaire. Par exemple Dominique Cabrera, est grande documentariste de la Méditerranée, notamment sur la question de l’Algérie et la France, a tourné une fiction à Marseille. Nous avons construit des séances en mélangeant les genres, par exemple Horkos et Euridice Euridice 6 sont un documentaire et une fiction. En les regardant, on s’aperçoit que ça va s’interpénétrer, en termes de cinéma. Un Mensch et Quitter Chouchou 7 sont deux films qui n’auraient jamais dû se rencontrer finalement. Deux documentaires avec deux générations de cinéastes Lucie Demange et Dominique Cabrera, cela va fabriquer quelque chose. Nous continuons de faire cette différence, car ce n’est pas la même chose dans le système de relation à l’image, mais il faut voir que ça vacille parfois dans les films.

© Butternut Productions / Tchik Tchik Productions
─ Cette année, vous recevez Elene Naveriani (dont le 1er long-métrage avait été présenté en 2018) pour une leçon de cinéma8 mais également la présentation de son prochain film Blackbird Blackbird Blackberry 9, pourquoi avez-vous choisi de lea faire revenir ?

M.R : Nous, Ambre et moi, étions au Festival de Cannes lorsque nous avons vu ce film. C’est un film dont la fin est bouleversante. À notre retour à Marseille, nous avons demandé à Christine de le voir.

C.I : C’était un choix unanime. Et comme iel était déjà venue à FFM nous lui avons proposé une leçon de cinéma.

M.R : Nous trouvions cela intéressant justement, car nous avions déjà montré ses films. Je suis impressionnée par la maturité du film qui est une adaptation d’un livre sorti en France sous le titre de « Merle merle mûre ». C’est important pour nous qu’iel puisse partager son cinéma, son regard sur le monde.

C.I : C’est un portrait de femme extraordinaire. Elle tient son destin.

M.R : Elle s’émancipe par l’amour et je trouve que c’est vraiment très fort. Elle ne se limite pas à n’être qu’une femme amoureuse. Pour moi c’est presque un teen movie mais arrivé sur le tard. Dans les thèmes on retrouve énormément de motifs du genre avec les méchantes filles qui critiquent, les injonctions de la part de personnes extérieurs sur ce qu’elle devrait faire et puis l’amour comme espace d’émancipation, de construction de soi et de fantaisie.

─ Si nous continuons à parcourir le programme, vous organisez deux ciné-débats au Centre pénitentiaire des Baumettes 10, en collaboration avec Culture du Cœur 13. C’était important pour vous de l’inclure dans la programmation ?

M.R : C’est dans la démarche de médiation et d’ouverture du cinéma porté par FFM, notamment via une large gratuité. Toute l’année, il y a des ateliers prodigués dans les centres sociaux, j’en ai moi-même dispensé en mai à Port-de-Bouc au centre Fabien Menot. Je pense que c’est dans cette démarche de partage des films de réalisatrices méditerranéennes au plus large public possible et pas forcément par des circuits de diffusion classique de cinéma d’exploitation commerciale ou d’art et d’essai. Nous nous déplaçons pour aller à la rencontre d’autres personnes pour montrer des films.

C.I : Je voudrais revenir sur les projections au Centre pénitentiaire des Baumettes, ça fait déjà plusieurs années. Cette année nous avons réussi à faire des projections pendant les rencontres mais il faut savoir que nous tenons à le faire toute l’année. Nous tenons à ce que cela concerne les femmes détenues, ce qui n’était pas le cas avec qu’FFM intègre ce dispositif. Nous avons deux cinéastes qui viendront, ce sont des moments privilégiés offert à ce public qui n’a pas vraiment d’occasion. Lina Soualem présentera Bye bye Tibériade et Sarah Bouzi présentera Ne Pleure pas Halima, Sonia Ben Slama aussi pour présenter Machtat, ce sont des grands moments qui sont là aussi dans notre programmation (à l’Alhambra, aux Variétés …)11. Nous réservons le même sort à ces films, nous ne montrons pas de moindre ampleur, nous tenons à cette qualité de programmation.

─ Cette édition se termine sur un film de costume 12 bien différent du film d’ouverture, comment s’est fait ce choix ?

M.R : Le film nous a été envoyé et ce fut une surprise. Sur le papier un film français de costume sur une figure historique aussi connue que Madame de Sévigné avec Karine Viard dans le rôle principal c’est le genre de film qui intrigue. Nous avons trouvé une écriture très fine. À titre personnel je ne connaissais pas les lettres, enfin je connaissais l’amour qu’elle avait pour sa fille mais je n’en avais qu’entendu parler. Le film a beaucoup de passage avec ces lettres lues par Karine Viard et c’est impressionnant. On y découvre une femme libre, ouverte, mais à la fois très imposante pour sa fille. Et finalement, c’est un sujet qui pourrait toucher beaucoup de personne : avoir une mère étouffante par son amour, impressionnante par sa présence et son charisme. Nous avons trouvé ce film très subtil, capable de montrer cette petite réalité qui finalement transcende les époques.

Il parle de relation filiale, c’est quelque chose qu’on va retrouver tout au long de la programmation notamment avec le film Love is not an orange d’Otilia Barbara 13 c’est aussi dans une sorte d’échange épistolaire, ce ne sont pas des lettres mais des cassettes : des enfants moldaves qui envoient des cassettes à leurs mères qui travaillent en Italie tandis que les mères envoient des colis remplis de cadeaux et comment il y a un échange maternelle, ce qu’on retrouve dans  Quitter Chouchou, cet amour de famille, dans Un Mensch, La Amiga de mi amiga ou Légua où l’on est dans des familles choisies et finalement comment ces espaces de relations créent soit la fiction soit le documentaire, ou en tout cas l’image visuelle et cinéma que c’est dans ces espaces là que cela arrive.

C.I : Et pour revenir sur Madame de Sévigné je pense qu’on connait son nom mais on ne sait pas du tout ce qui est autour d’elle, l’aura qu’elle a pu avoir. Je crois que, comme le disait Meryem, c’est presque un documentaire sur cette époque avec Karine Viard, une actrice pourtant  souvent vu c’est hallucinant de voir comme elle existe en tant que Madame de Sévigné et c’est ça la finesse et la qualité de ce film. Il nous montre qu’aimer trop quelqu’un c’est dangereux, c’est un film de libération subtile. Madame de Sévigné est une femme libre mais qui a une emprise sur sa fille qui va essayer de s’en libérer, il y a aussi le contexte de libération des autres femmes intellectuelles. C’est un film qui nous parle beaucoup d’aujourd’hui.

1 : Sambizanga, samedi 18 novembre à 20h, Les Variétés. En présence d’Annouchka de Andrade.
2,3 : Le Passager du Tassili de Sarah Maldoror, dimanche 19 novembre à 17h30, La Baleine. En présence d’Annouchka de Andrade, Smaïn Faïrouze et Akli Tadjer.
4 : Sarah Maldoror, une cinéaste, dimanche 19 novembre à 20h30, Vidéodrome 2.
5 : Un dessert pour Constance de Sarah Maldoror, jeudi 23 novembre à 18h, Vidéodrome 2. En présence de Maya Mihindou.
6 : Horkos de Marta Anatra et Euridice Euridice de Lora Mure-Ravaud, lundi 20 novembre à 17h15, Les Variétés. En présence de Marta Anatra.
7 : Un Mensch de Dominique Cabrera et Quitter Chouchou de Lucie Demange, jeudi 23 novembre à 18h, La Baleine. En présence de Dominique Cabrera et Lucie Demange.
8 : Leçon de cinéma vendredi 24 novembre à 11h, Vidéodrome 2 avec Elene Naveriani
9 : Blackbird Blackbird Blackberry d’Elene Naveriani, mardi 21 novembre à 19h30, Les Variétés.
10 : Projections au Studio Image et mouvement des Baumettes 20 et 21 novembre, inscriptions terminées.
11 : Machtat de Sonia Ben Slama lundi 20 novembre à 20h, Les Variétés. En présence de Sonia Ben Slama et Tania El Khoury, productrice / Ne pleure pas Halima de Sarah Bouzi, mardi 21 novembre à 17h30, Les Variétés. En présence de Sarah Bouzi / Bye bye Tibériade de Lina Soualem mercredi 22 novembre à 20h, Alhambra. En présence de Lina Soualem et Hiam Abbass
12 : Madame de Sévigné d’Isabelle Brocard vendredi 24 novembre à 20h, Les Variétés. En présence d’Isabelle Brocard.

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Norte Distribution

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Entretien réalisé par Naomi Camara.

Crédits photos top et article : BLACKBIRD, BLACKBIRD, BLACKBERRY © Capricci Films, QUITTER CHOUCHOU © Butternut Productions / Tchik Tchik Productions, LÉGUA © Norte Distribution

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