Du 4 au 9 juillet se tiendra à Marseille la 34e édition du FID avec pas moins de 106 films venant de 35 pays ! À travers une sélection riche et variée, le FIDMarseille continue d’affirmer sa vocation de festival défricheur, défenseur de formes, visions et modes de production qui font la vitalité d’un cinéma en prise sur un monde bouleversé et changeant. Cette année, des temps forts seront dédiés à diverses personnalités cinématographiques. Il y aura un hommage au cinéaste Paul Vecchiali, décédé récemment, une programmation des films jamais encore présentés de l’artiste Laure Prouvost, enfin, le réalisateur Whit Stillman qui a révolutionné la comédie américaine sera à Marseille pour la première rétrospective consacrée à son œuvre.
_ Commençons par l’ouverture au Théâtre Silvain, en présence du réalisateur Whit Stillman.
Cette ouverture intervient dans le cadre de la rétrospective intégrale des films de Whit Stillman. Grand cinéaste contemporain, il est réputé dans le milieu cinéphile mais peu connu par le grand public. C’est un auteur spécialisé dans le genre de la comédie, qu’il a vraiment réinventé. C’est de la comédie romantique qui repose beaucoup sur le dialogue, on trouvait important de lui rendre hommage en lui consacrant sa première rétrospective intégrale. Ses films sont à la fois très sophistiqués et grand public, généreux dans le registre de la fiction et de la comédie américaine. On trouvait aussi juste d’appuyer l’hommage en lui consacrant l’ouverture par cette magnifique séance en plein-air au Théâtre Silvain, avec son 4eme film, le plus coloré, le plus dynamique et musical de sa filmographie.
─ Parmi les autres temps forts, il y a l’hommage à Paul Vecchiali avec qui vous aviez commencé à travailler de son vivant.
On a commencé à réfléchir à cet hommage de son vivant à l’automne dernier, il devait être présent. On voulait programmer une sélection de ses films en réunissant autour de lui des amis, des collaborateurs et proches pour un hommage chaleureux. Paul est décédé en janvier, on a évidemment décidé de maintenir ce moment, non pas comme une grande rétrospective mais une invitation à celles et ceux qui l’ont accompagné au cours de sa carrière pour présenter les séances et parler de ce cinéma pendant le festival.
─ C’est aussi la première fois qu’il y a ouvrage collectif ?
On lance en co-édition avec les éditions de l’œil. Pour Whit Stillman c’est le tout premier livre jamais publié sur lui, concernant Paul Vecchiali il y a déjà eu des livres à son sujet mais pas autant que son œuvre immense le mérite. C’est le premier ouvrage collectif construit comme une sorte de portrait hommage de cet incroyable artisan du cinéma, producteur, acteur. Il était un monde du cinéma à lui tout seul.
─ Vous présentez aussi un focus sur l’artiste plasticienne Laure Prouvost, parlez-nous de ce choix.
Un des marqueurs originels du FID est de créer des passerelles entre le champ de l’art contemporain et du cinéma, c’est-à-dire de montrer en salles des artistes qui font des films mais qui ne sont pas inscrits dans le champ du cinéma. Laure Prouvost une des plus grandes artistes vivantes est mondialement connue. Artiste invitée sur le pavillon français lors de la Biennale de Venise de 2019, elle a gagné le prix Turner (le plus grand prix pour les artistes contemporains). Elle est plasticienne, peintre, sculptrice, elle fait des installations, des performances et elle réalise aussi des films assez courts.
Depuis ses débuts, ses films n’ont jamais été réunis comme l’œuvre d’une cinéaste à part entière. Nous sommes les premiers à la présenter au cinéma en affirmant qu’elle est aussi une cinéaste importante. Ce focus c’est justement ce geste-là : quelqu’un dans le champ de l’art, cinéaste depuis plus de 20 ans maintenant est tout à fait légitime de présenter ces œuvres aux spectateurs qui ne la connaissent que dans le champ de l’art contemporain. C’est aussi la première rétrospective au monde de son travail filmique.
─ Revenons sur les différentes compétitions, cette année il y a moins de films sélectionnés, notamment dans les compétitions Française et Internationale.
Quasiment toutes les compétitions ont été un peu resserré. On est passé de 11 à 8 en Compétition Française, de 14 à 13 en Compétition Internationale, on a resserré pour clarifier notre proposition et accentuer le travail de soutien et de mise en lumière des films.
Resserrer un peu le programme c’est consacrer plus de temps et d’énergie à chaque film pour mieux le défendre et le porter, c’est aussi faire des choix encore plus tranchés.
C’est également lié à une nouveauté cette année : les rencontres du forum tous les après-midi à la brasserie Blum. Il s’agit de rencontres d’une heure et demie pour prendre le temps d’approfondir des questions importantes sur le cinéma d’aujourd’hui. L’idée est de réduire un peu les films en donnant plus de place à la parole et à la réflexion.
─ C’est aussi ça le FID, un endroit d’échanges et de mise en relation ?
C’est un endroit de défrichage, on essaie vraiment de repérer des formes émergentes, des jeunes talents et faire des choix peut être plus tranchés. On reçoit beaucoup de films donc c’est difficile d’en choisir moins mais c’est aussi un travail de mise en lumière des cinéastes pour la plupart encore méconnus.
─ Ce choix de mettre en lumière des cinéastes plus méconnus, c’est aussi le choix d’exposer un renouvellement d’écriture cinématographique ?
Oui et c’est pour cela que, la Compétition Premier Film est essentielle et au centre de notre travail. Elle nous permet de mettre en évidence ce travail de défrichage et d’affirmer la puissance du FID comme un tremplin pour des productions par encore exposées.
On essaie d’équilibrer entre cinéastes reconnus et jeunes talents émergents, les uns soutenant les autres. Cette année, Deimantas Narkevičius, artiste lituanien réalise son premier long métrage à 60 ans en inventant un usage de la 3D complétement singulier et étonnant. On peut avoir 60 ans et être un jeune cinéaste, inventer de nouvelles formes.
─ Il y a d’autres jeunes cinéastes ou des films qui ont retenu votre attention ?
On présente le deuxième long métrage d’une jeune cinéaste argentine, María Aparicio, dont on avait montré le premier film au FID, qui a ensuite voyagé dans le monde entier. C’est une très belle fiction dont le personnage principal est une monteuse que María met en scène en train de monter le film d’un ami cinéaste récemment disparu qui réalisait un film sur les personnes malvoyantes. C’est très beau de voir une monteuse travailler avec des rushs tout en étant en situation de deuil suite à la perte de cet ami. Un autre film qui fait parti des découvertes en Compétition Française qui s’appelle Dans le silence et dans le bruit de Clément Roussier et Hadrien Mossaz, un premier film de ces deux jeunes cinéastes. On ne les connaissait pas et tout à coup on tombe sur une splendeur qui vient de nulle part. C’est un très beau film qui fait le portrait de deux jeunes personnes dans une clinique psychiatrique, absolument génial et expérimental. Ce n’est pas un documentaire, c’est un portrait magnifique de personnes qui vivent un peu en retrait du monde lorsque l’un d’entre eux s’apprête à quitter la clinique.
En Compétition Premier Film un autre très beau premier film de quelqu’un aussi complétement inconnu c’est Sofia Foi, film brésilien de Pedro Geraldo. Le cinéma brésilien est souvent très engagé avec des formes très mouvementées et colorées, ici c’est un film sobre et très touchant. Il s’agit du portrait d’une tatoueuse qui décida de retourner à l’Université de São Paulo, où elle se rend comme tatoueuse, et non comme étudiante. Le cinéaste la suit dans une sorte de dérive le jour et la nuit. Il fait un beau portrait d’une jeune femme un peu marginale dans le Brésil d’aujourd’hui, ça fait partie des très belles découvertes de cette année.
─ En parlant de découvertes, il y a une catégorie à part, celle des Autres Joyaux.
On doit faire des choix difficiles pour les compétitions, surtout en réduisant la sélection. Il y a des films qui nous importent beaucoup et qui, pour différentes raisons ne trouvent pas leur place en compétition. Cette section est aussi limitée en nombre, vous y retrouvez des choix précis auxquels on croit fort.
On y propose aussi des restaurations. On est très content de montrer, en partenariat avec Harvard Film Archive, Diaries d’Ed Pincus, un film important dans l’histoire du journal filmé. Il est mythique mais très peu vu probablement en attendant sa restauration, afin de retrouver une nouvelle vie.
Outre les films restaurés, il y a aussi des cinéastes importants dont les films ont déjà été montré ailleurs. C’est le cas cette année de Man In Black de Wang Bing, du court métrage éblouissant de Pedro Costa As filhas do fogo ou le dernier film de Jean-Luc Godard Film annonce du film qui n’existera jamais : “Drôles de guerre” réalisé quelques mois avant son décès. Cette catégorie associe des cinéastes méconnus, des films anciens restaurés et des figures importantes pour nous, formant un équilibre permettant aux films de s’éclairer les uns les autres.
─ Il y a une nouveauté cette année, la compétition nouvellement appelée Ciné +.
Elle n’est pas nouvelle uniquement par son nom. Le GNCR, un label de salle exigeante reste partenaire de cette sélection, notamment via les membres du jury. La chaine de télévision Ciné + a doté le prix de cette compétition d’une somme importante : 15 000 euros pour le distributeur du film primé. Cette compétition a pour vocation d’aider et soutenir des films à sortir en salles. Vous savez il y a eu une crise importante de la distribution après le Covid. Ça va un peu mieux mais on est très content de renforcer cette compétition par ce nouveau prix qui va vraiment être un tremplin important pour permettre au film primé de sortir en salles. Cette compétition permet aussi au delà du film primé d’exposer 10 films aux professionnels qui viennent au FID en les incitant à les prendre en charge. C’est une compétition qui ne change pas de vocation mais elle est renforcée par cette dotation.
─ Un mot sur l’affiche, avec la phrase traduirait le FID comme un espace pour tous, cinéphiles, cinéastes … c’est l’idée ?
L’affiche a été réalisée en collaboration avec l’artiste colombien et un ami du FID Ivan Argote. Il travaille sur la notion de l’espace public et sur l’idée de rendre l’espace public aux citoyens, de libérer l’espace public des logiques de pouvoir et de domination pour lui rendre un usage horizontal et démocratique. Cela correspond tout à fait à l’idée que l’on se fait et à ce qu’est le FID : pas seulement un endroit où on trouve des films mais un vrai lieu de rencontre. En premier lieu un festival ouvert à tous les cinémas,t, à la fois un cinéma de recherche très exigeant mais aussi de fiction et généreux comme Whit Stillman, pour un public plus large. Cette notion d’espace public présente aussi le festival comme un espace public, de rencontre et partage et non uniquement comme un lieu de compétition ou d’exposition. C’est dans cette logique qu’on a créée les rencontres du forum cette année et ça correspond aussi à notre volonté affirmée mais renforcée depuis 1 an à savoir le développement des relations et l’ancrage du festival à Marseille.
La programmation complète du festival est à découvrir ici !
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Entretien réalisé par Naomi Camara.
Crédits photos : DAMSELS IN DISTRESS de Whit Stillman / EN HAUT DES MARCHES
de Paul Vecchiali / GÉOLOGIE DE LA SÉPARATION de Yosr Gasmi,Mauro Mazzocchi
Crédits photo top :
ČIULBANTI SIELA de Deimantas Narkevičius