Du 8 au 13 juillet se tiendra à Marseille la 36e édition du FID, avec pas moins de 120 films venant de 42 pays, dont 58 sont présentés en Première Mondiale ! Avec à une programmation éclectique et audacieuse, le FIDMarseille confirme son rôle de festival explorateur, engagé dans la défense de formes, de regards et de modes de production qui témoignent de la vitalité d’un cinéma ancré dans un monde en mutation.
Cette année, le festival propose deux rétrospectives, l’une consacrée au cinéaste roumain Radu Jude, l’autre aux cinéastes chilien.nes Carolina Adriazola et José Luis Sepúlveda.
Retour sur notre rencontre avec Cyril Neyrat, directeur artistique du FID.

_ Le festival s’ouvre avec Kontinental 25 de Radu Jude le 8 juillet à 21 h au Théâtre Silvain. Vous lui consacrez également une rétrospective qui continuera au Centre Pompidou le 23 septembre. Pourriez-vous nous parler de ce choix.
Il est un des cinéastes les plus importants du cinéma contemporain. Extrêmement puissante politiquement, son œuvre constitue une sorte d’immense critique satirique et humoristique des formes contemporaines du capitalisme, pas seulement en Roumanie mais dans l’Occident en général. C’est aussi un cinéaste extrêmement prolifique, pour qui chaque film est l’occasion d’expérimenter avec le langage du cinéma, dans les fictions, essais documentaires, courts-métrages… C’est un des cinéastes les plus inventifs et aventureux aujourd’hui.
Nous allons également faire paraître un livre collectif Radu Jude : La fin du cinéma peut attendre, le premier livre en français sur Radu Jude, en coédition avec les Éditions de l’œil.
Kontinental 25 est un film magnifique, primé à Berlin.
Pour nous, il était évident de le présenter en ouverture du festival, d’autant plus que nous avons la chance d’accueillir Radu toute la semaine. C’est une avant-première exceptionnelle, un film à la fois audacieux, grand public et d’une grande force politique. Il s’agit d’une satire de l’hypercapitalisme immobilier dans une grande ville roumaine. Radu sera accompagné de l’actrice principale du film.
─ Radu Jude n’est pas le seul cinéaste à qui le festival consacre une rétrospective. Il y en a une consacrée à Carolina Adriazola et José Luis Sepúlveda.
La seconde rétrospective est une proposition d’un ami du festival, Manuel Asin, qui vient d’achever son mandat de directeur du Festival Punto de Vista en Espagne). Il rejoint l’équipe du FID cette année en accompagnant la rétrospective.
Ce duo est encore méconnu en dehors de l’Amérique latine. Quand nous avons découvert les films, nous avons été très impressionnés par la radicalité à la fois esthétique et politique de leur cinéma. Ce sont des cinéastes qui développent un cinéma en quasi autarcie, complètement en marge de la production officielle et traditionnelle. Ils font des films de manière collaborative, avec des populations marginales, du Chili.
Le point commun avec Radu Jude, c’est qu’ils font aussi un cinéma qui, pour chaque film, invente une forme, joue avec le langage cinématographique. Ils bricolent entre fiction et documentaire, créant des œuvres étonnantes, profondément subversives vis-à-vis de la société chilienne et des rapports de pouvoir. Ces deux rétrospectives donnent une couleur explicitement politique au festival. Dans le contexte actuel, cela nous semblait essentiel. Mais à une condition : que cette dimension politique se reflète aussi dans la forme même du cinéma. Pour nous, c’est essentiel.
─ Ce n’est pas les seules collaborations puisque vous avez également travaillé avec Pierre Creton, un cinéaste bien connu du FID. Il a fait 6 annonces. Cela coïncide avec la nouvelle identité visuelle du festival.
Nous avions envie de donner une nouvelle identité visuelle au festival, avec un nouveau site, et de repenser un peu la communication du FID. Pour cela, nous avons travaillé avec une jeune graphiste, Manon Bruet, qui nous a soumis une idée : partir d’une image animée. L’idée est que chaque année, nous passerons commande à un artiste visuel ou cinéaste d’une œuvre filmique à partir de laquelle nous déclinerions toute la communication visuelle de l’édition.
L’idée de faire appel à Pierre Creton s’est imposée assez naturellement. C’est sans doute le cinéaste le plus proche du festival, puisqu’il a été découvert au FID il y a vingt ans. Il a réalisé une mini-série de six épisodes d’une minute, intitulée 6 annonces, qui porte une touche légèrement lynchienne, Pierre est un grand fan de David Lynch. Nous en sommes très heureux !

─ Autre nouveauté cette année, vous proposez deux parcours de visionnage, un à destination du public jeune, l’autre pour une première expérience au FID. Comment avez-vous travaillé ce dernier ?
Effectivement, c’est la première fois que nous proposons des parcours, à l’attention des publics qui découvrent le festival et le cinéma que l’on défend. Ce sont des conseils pour mieux se repérer dans le festival.
Le parcours public jeune s’adresse à ceux qui découvrent le FID du fait de leur âge, et qui ont besoin de repères pour s’orienter vers des sujets ou des formes qui peuvent les intéresser.
L’autre parcours s’adresse à ceux qui, quel que soit leur âge, viendraient pour la première fois et qui pourraient être intimidés par cette grille très dense de 120 films. Nous proposant un chemin, quelques repères pour leur première fois. C’est une sélection qui reflète l’ensemble des différentes sections du FID (fiction comme documentaire) et qui incarne la diversité du festival. Elle permet aussi un accès plus simple à ce cinéma de recherche, exigeant, audacieux, que nous défendons.
─ Hors compétition, y a t-il des films que vous nous conseillez ?
Il y a les films de Radu Jude. Outre sa production de fiction, il y a tout un pan beaucoup moins connu de son œuvre : les essais documentaires. Il a fait par exemple un film monument, très important : The Exit of the Trains. Il est consacré à une des pages les plus sombres de l’histoire de la Roumanie : le massacre des Juifs de la ville de Iași par l’armée roumaine, alliée du nazisme.
Il y a Cuadro Negro de José Luis Sepúlveda et Carolina Adriazola. Il s’agit d’un film génial, critique acerbe de la politique chilienne et de l’histoire du Chili. Le film suit une documentariste qui entreprend de réaliser un « documentaire artistique » sur l’armée chilienne. À partir de cette idée apparemment simple, se déploie un film assez fou qui revient de manière vertigineuse sur l’histoire du pays et de la dictature chilienne.
Dans la sélection « Autres joyaux », il y a deux très beaux films restaurés. Le film indien Badnam Basti de Prem Kapoor, une sorte de Bollywood expérimental en noir et blanc. Il est aussi considéré comme le premier film queer du cinéma indien. L’autre film, Chameleon Street, a été réalisé par le cinéaste afro-américain Wendell B. Harris Jr. Il a remporté le Grand Prix au festival de Sundance en 1990. C’est un conte moderne où rapports de classe et de race sont abordés avec un humour sardonique.
Cette année, nous sommes particulièrement satisfaits de la compétition Premier film. La découverte de jeunes cinéastes est une mission essentielle du FID, et nous avons l’impression que cette compétition est particulièrement forte cette année.
C’est-à-dire ?
Par la diversité des programmes et la grande force de chaque film pour des premiers films qui sont déjà l’affirmation de talents singuliers.

─ Vous clôturez le festival avec Laurent dans le vent d’Anton Balekdjian, Léo Couture, Mattéo Eustachon, c’est un registre bien différent du film d’ouverture.
Nous sommes très contents d’accueillir à nouveaux ce trio de cinéastes découverts il y a 3 ans au FID avec Mourir à Ibiza, un film qui sortait tout juste de la Ciné Fabrique. C’est leur deuxième long-métrage, il nous a beaucoup plu et ému. Ils sont jeunes et font du cinéma de manière collective, quelque chose qui nous plaît beaucoup au FID. Il s’agit de leur deuxième film, qui marque déjà une maturité par rapport au premier. Il est à la fois grave, sombre, lumineux et léger, c’est un très beau film français. Idéal pour finir le festival, à la fois grand public et ambitieux.
─ C’est un film soutenu par la Région Sud, par ailleurs vous organisez une séance spéciale en collaboration.
Oui tout à fait, avec L’Incroyable femme des neiges de Sébastien Betbeder, présenté à la Berlinale cette année. On est très contents car le cinéaste sera là, accompagné de Blanche Gardin pour présenter le film au public.
On présente aussi de très beaux films de cinéastes et artistes marseillais. Il a le très beau court-métrage de Nine Antico Le fond vert, dans la sélection Autres joyaux. On présente aussi un film collectif des ateliers cinématographiques Film Flamme Où sont nos feux d’artifices, film tourné dans le quartier de la Joliette. On présente aussi Notre père, un film issu de l’atelier de réalisation porté par le CNAP au sein de la prison des Baumettes, un film collectif, réalisé par des détenus et coordonné par Joris Lachaise.
La programmation complète du festival est à découvrir ici !
────
Entretien réalisé par Naomi Camara.
Crédits photos : La Fille la plus heureuse du monde de Radu Jude © Pyramide
Le Barrage d’Ali Cherri © Dulac Distribution
Crédits photo top :
Laurent dans le vent de Anton Balekdjian, Léo Couture et Mattéo Eustachon © Mabel-Films