Le Cinématographe à Château-Arnoux (Alpes-de-Hautes-Provence) fête ses 40 ans ! Au programme de la soirée : musique, buffet, et film surprise. Pour l’occasion, Séances Spéciales s’est entretenu avec Anaïs Rinaldi, médiatrice.
Dans quel contexte est né le Cinématographe ?
Anaïs Rinaldi : La création du Cinématographe est liée à l’évolution de la politique cinématographique du début des années 80. Entre 1981 et 1983, l’ADRC se met en place pour renforcer la diffusion des films en salles, garantir l’accès au cinéma partout en France et accompagner la modernisation des équipements. À ce moment-là, l’ADRC cherchait de nouveaux moyens d’aider la petite exploitation et les cinémas de proximité, très fragilisés, notamment en participant à la commission d’aide sélective à la création et à la modernisation des salles.
Les fondateurs du Cinématographe, Jean-Paul Enna et Jimi Andreani, venaient du cinéma Le Breteuil à Marseille et se sont installés ici avec la volonté de recréer ce qu’ils avaient connu : l’accès à la VO, une programmation art et essai… À l’époque, il n’y avait pas de sorties nationales et très peu de copies. Elles étaient d’abord exploitées à Paris, puis partaient ensuite en province. Le cinéma a donc a ouvert en décembre 1985 avec deux salles et a eu pour marraine Agnès Varda, qui est venue présenter son film Sans toit ni loi. Aujourd’hui, il est géré par l’Association de Gestion du Cinématographe.
La soirée des 40 ans se prépare, qu’est-ce que cet anniversaire représente pour le Cinématographe ?
A.R : C’est une fierté de se dire que cela fait 40 ans que nous sommes dans ce lieu, avec plus ou moins la même équipe. Parmi les salariés, certains sont là depuis plus de 25 ans, peut-être même 30. C’est une équipe qui travaille ensemble depuis longtemps, du même territoire, avec une culture commune. On est très contents d’être toujours là. La soirée des 40 ans du Cinématographe aura lieu le vendredi 12 décembre. Ce sera un moment festif et gratuit.
Quels sont les enjeux spécifiques à l’exploitation d’un cinéma implanté dans un village ?
A. R : En plus de veiller à une programmation éclectique, qui plaît à tout le monde, cela implique aussi de développer le travail avec des publics spécifiques : par exemple avec les écoles et le collège à proximité. En revanche, les lycées et les études supérieures se trouvent dans des villes déjà équipées de cinémas, donc nous ne touchons pas ces publics. Notre action concerne surtout les tout-petits jusqu’aux collégiens, puis plutôt des adultes.
Nous avons un public fidèle, même si ce n’est plus comme il y a 25 ans : il y a eu une baisse, comme partout. Le renouvellement du public art et essai est difficile en milieu rural. Au niveau national, les étudiants et jeunes actifs renouvellent la fréquentation, mais ici, quand ce public disparaît quelques années parce qu’il part étudier ou travailler ailleurs, on ne le retrouve pas forcément. On espère qu’ils continueront à aller au cinéma et que leur cinéphilie se développera, même si ce n’est plus chez nous.

“Sans toit ni loi” d’Agnès Varda, présenté lors de l’inauguration du Cinématographe en 1985
Comment se déroule la programmation du cinéma ?
A. R : Ici, l’enjeu principal est de proposer une programmation suffisamment éclectique pour que chacun puisse s’y retrouver. Nous tenons beaucoup à l’art et essai et essayons de soutenir au maximum ces films car c’est notre ADN éditorial, mais nous programmons aussi beaucoup de films commerciaux, surtout en période de fêtes, avec davantage de films familiaux.
Avec trois salles, on ne peut pas projeter les vingt nouveaux films qui sortent chaque semaine. Il y a toujours des spectateurs qui doivent attendre. On est très à l’écoute : quand un film est demandé et qu’on ne l’a pas eu en sortie nationale, on le récupère plus tard. On essaie de répondre aux demandes quand c’est possible. L’avantage, c’est que les cinémas sont relativement proches les uns des autres dans le département. Cela permet aux spectateurs de naviguer d’une salle à l’autre. Les gens peuvent donc trouver leur compte en alternant selon les programmations.
Comment envisagez-vous l’avenir du cinéma et de votre activité dans le contexte que traverse aujourd’hui le secteur ?
A. R : La période est très éprouvante pour tous les exploitants et pour le secteur. Ce qu’on a vécu avec le Covid — l’arrêt, puis la reprise au ralenti — a été très dur. À la réouverture, il y a eu une sorte d’euphorie, mais les entrées n’ont jamais vraiment retrouvé leur niveau d’avant 2020. Beaucoup de salles ont été en danger cette année, et des distributeurs aussi. Il est difficile d’envisager l’avenir sereinement avec des baisses de fréquentation aussi importantes. Heureusement, il y a eu des aides d’urgence du CNC, mais cela reste fragile.
C’est ma première grande crise depuis que je travaille dans le cinéma, mais les plus anciens, dont les fondateurs du Cinématographe, en ont connu d’autres. Les crises font partie de l’histoire du cinéma. On a retrouvé le premier programme qu’ils avaient réalisé à l’ouverture : ils parlaient de l’arrivée de la cinquième chaîne de télé, un peu comme nous parlons de Netflix aujourd’hui !
Le public est moins curieux qu’avant, il y a une déperdition. En même temps, le socle du jeune public est solide, ce qui est réconfortant. Notre manière de travailler n’a pas changé : on a maintenu toutes nos animations, même quand les gens étaient moins au rendez-vous. Mais une action culturelle coûte de l’argent si la salle est trop vide, et on ne pourra pas maintenir ce rythme des années durant. Ce qui est rassurant d’un côté, c’est que ce n’est pas un désamour local du Cinématographe, mais une tendance nationale.
Rendez-vous le vendredi 12 décembre pour une soirée festive, offerte par le Cinématographe.
Crédits photos : MK2 Films, Digne-les-Bains Tourisme
Entretien réalisé par Lola Antonini & Elyna Garcia