Les Rencontres Internationales Sciences & Cinéma (RISC) reviennent à Marseille du 9 au 13 décembre 2025. Organisé par l’association Polly Maggoo, le festival propose une programmation internationale de courts et longs métrages (documentaires, fictions, animations, expérimental). Pour l’occasion, Séances Spéciales s”est entretenu avec Serge Dentin, directeur artistique du festival.
Vous définissez le RISC comme un festival à la croisée des disciplines. Comment en décririez-vous l’identité ? S’agit-il d’un festival scientifique, cinématographique, une forme hybride ?
Serge Dentin : Le festival a commencé en 2006 au sein de l’association Polly Magoo, créée en 1993 et qui n’était au départ pas centré sur les sciences. En arrivant, j’ai apporté ce côté-là parce que j’ai une formation scientifique, mais ça a beaucoup bougé depuis la première édition. Aujourd’hui, on s’affirme vraiment comme un festival de cinéma, c’est comme ça qu’on se pense. Avec l’idée de découvrir des films contemporains – même si on peut parfois proposer des films de patrimoine lors de séances spéciales. Mais l’essentiel, c’est de montrer des films contemporains. Et ça, c’est vraiment l’esprit de l’association depuis ses débuts : une curiosité tous azimuts, l’envie de découvrir, de se laisser surprendre par des regards qui nous étonnent. Le comité de sélection est fait d’environ vingt personnes, issues de milieux très variés : cinéma, sciences, recherche, étudiants… Et ensemble, on se pose cette question : comment choisit-on un film ?
Justement, quels critères guident votre sélection ?
S. D : Le premier critère, c’est vraiment de se laisser étonner par un film, peu importe sa forme ou sa catégorie. Ce qui compte, c’est qu’un film propose quelque chose de suffisamment fort, dans son approche formelle, dans son regard, dans sa façon de mettre en scène. On reçoit par exemple beaucoup de films produits par la télévision, qui peuvent être passionnants dans leur sujet, totalement légitimes, mais qu’on ne sélectionne pas parce qu’ils n’occupent pas l’espace formel que nous recherchons. Nous cherchons une proposition qui étonne. Notre sélection ne repose pas sur la nature « scientifique » ou non des films. Les films dits scientifiques sont souvent des documentaires très informatifs, passionnants parfois, mais ce sont des formats très particuliers que nous accueillons rarement, sauf si la forme est vraiment inattendue. Ça peut être un film qui transmet des connaissances, mais par l’animation par exemple, ou qui a une écriture suffisamment singulière pour qu’on puisse le choisir.
Mais très majoritairement, les films sélectionnés n’ont rien à voir avec les sciences au départ. Certains films ont eu des collaborations avec des scientifiques, mais ce n’est pas ce qu’on recherche. Ce qui compte, c’est qu’à partir d’un film qu’on a collectivement envie de défendre cinématographiquement, on imagine comment il peut dialoguer avec quelqu’un du monde de la recherche. Ça peut être un film de fiction, un documentaire de création, un film d’animation, quelque chose de plus expérimental. On regarde quelles questions il travaille, et comment elles peuvent rencontrer celles de chercheuses et chercheurs de domaines très variés : astrophysique, sociologie, écologie, histoire, économie, philosophie, sciences du langage… Quand nous invitons des scientifiques à parler lors d’une séance, nous veillons à ne pas enfermer le film dans une lecture unique. Car un film ne se laisse jamais enfermer : il s’ouvre toujours à plusieurs interprétations.

“Planètes”, de Momoko Seto, en avant-première à la soirée de clôture
Comment, selon vous, s’opère la rencontre entre cinéma et sciences, deux domaines qui n’ont pas les mêmes logiques ni le même langage ?
S. D : Justement : ce sont deux langages très différents. D’où la nécessité d’expliquer clairement aux scientifiques invités que le festival n’est pas un espace de conférence. Ce n’est pas le lieu pour exposer un savoir. Ce qui nous intéresse, c’est de quelle façon le film fait écho à leur travail ? A quel endroit cela les touche, qu’est-ce que ça remue en eux ? Notre point d’entrée reste le cinéma. Les chercheurs et chercheuses sont ensuite inviter à venir dialoguer, que ce soit pendant le festival ou dans nos ateliers menés toute l’année. Et aujourd’hui, ces questions-là se posent aussi au niveau national. Nous faisons partie du Réseau TRAS (Transversale des réseaux Arts Sciences) qui fédère des opérateurs culturels, du spectacle vivant, du cinéma, etc., et qui travaille sur les formes de collaboration entre artistes et scientifiques. Le festival fait aussi parti du réseau EASI (Écritures alternatives, Sciences Sociales et Images), qui travaille sur les questions de production, de diffusion, d’épistémologie de la collaboration entre chercheurs et cinéastes… Pendant le festival, on les accueille pour des workshops et des temps d’échange.
Ces questions-là, elles concernent aussi la société, les citoyennes et les citoyens. On ne peut pas mettre les artistes et les chercheurs chacun dans leur bulle. Ce qui compte, c’est vraiment le collectif, pour arriver à reposer les bons enjeux. Les films posent des questions de société : ce n’est pas “gratuit”. Même lorsqu’ils sont ludiques, ils interrogent toujours quelque chose. Ce sont des questions centrales pour le comité : on réfléchit à l’esthétique, bien sûr, mais est-ce que c’est seulement pour divertir ? Et à quel endroit le film questionne ?
Aujourd’hui, les festivals font face à des baisses de moyens et des changements de politiques culturelles. Dans l’édito du programme de RISC, vous écrivez que diriger un festival aujourd’hui, « est un acte de résistance ».
S. D : Oui, ça l’est, mais tant qu’on a de l’énergie, et des perspectives de collaboration, on continue. Le collectif est fondamental. Sinon, on s’épuise. Ça oblige à repenser des choses, à revoir notre gouvernance, imaginer autrement. Ça demande de la créativité, et ça permet aussi de revisiter ce qu’on fait.
Quels sont les temps forts de la programmation cette année ?
S.D : C’est toujours délicat de mettre certains films en avant. Mais oui, il y a des temps forts. D’abord, tout ce travail du réseau artistes-scientifiques, qui est important. Et puis les collaborations historiques avec les chercheurs de Marseille, notamment dans nos ateliers.
Cette année, il y a une grande masterclasse de la cinéaste Momoko Seto. Son dernier long métrage, Planètes, présenté à la Semaine de la critique, sera en avant-première à la soirée de clôture. Elle a aussi été membre du jury du festival il y a quelques années.
On présente aussi une performance-conférence d’une artiste plasticienne, Camille Goujon, très investie dans les collaborations avec des scientifiques. Elle présente un travail qu’elle a mené en résidence en Turquie, autour de l’archéologie, de l’origine de Marseille, de l’immigration, de la Méditerranée, des déplacements de populations, des tragédies aussi.
Pour la soirée d’ouverture, on montre un documentaire réalisé dans un hôpital psychiatrique, Du monde aux portes de Pilar Arcila et Jean-Marc Lamoure. C’est un film qui ne rentre dans aucune case, comme beaucoup.
Il y a aussi des séances où le public vote : le mercredi à 14h pour les courts-métrages jeune public, et à 16h30 pour le prix du public « extra court ». Les résultats seront annoncés samedi 13, avec les trois prix du jury : long métrage, court métrage et très court métrage. Le jury est pensé pour être équilibré en termes de genre, et aussi en termes de diversité géographique. Les séances sont construites par échos : les films dialoguent entre eux, d’où les thèmes comme « Refuges », « Chemins », « Environnement », « Archives », « Humain, animal », « Secret », « Image », « Familles », « Collectifs », « Transformations ». Ce sont des fils qui traversent les films.
Rendez-vous du 9 au 13 décembre 2025 dans plusieurs lieux marseillais. Retrouvez le programme complet ici.
Crédits photo du haut : Les Enfants pêcheurs de Margaux Sirven et Nina Almberg
Entretien réalisé par Lola Antonini