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“Liberté” : Entretien avec Iliana Zabeth, actrice

Entretien avec...
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Publié le : Lundi 16 septembre 2019

Liberté, septième long métrage d’Albert Serra. Après Casanova, Louis XIV et Don Quichotte, le réalisateur catalan nous transporte au XVIIIe siècle, auprès d’un groupe de libertins expulsés de la cour puritaine de Louis XVI.

Sélectionné au dernier Festival de Cannes dans la sélection Un Certain regard, dans laquelle il a reçu un Prix spécial du jury, Liberté n’est pas passé inaperçu sur la Croisette. Nous avions rencontré à cette occasion Iliana Zabeth, jeune actrice remarquée dans L’Apollonide, souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello (2011). Dans Liberté, elle incarne une novice, sortie du couvent pour être initiée au libertinage.
Nous publions cet entretien à l’occasion des rencontres avec Albert Serra organisées les 19 et 20 septembre à La Baleine à Marseille et au Royal à Toulon.
L'Apollonide, souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello (2011, Haut & Court)
Liberté d'Albert Serra (2019, Sophie Dulac)
De gauche à droite : Theodora Marcadé, Albert Serra et Iliana Zabeth
─ Bertrand Bonello, François Ozon, Catherine Corsini et maintenant Albert Serra, des auteurs aux univers singuliers. Comment se sont fait vos premiers pas d’actrice ? Sur quels critères choisissez-vous vos projets ?

Enfant, ma mère m’a encouragée à passer quelques castings. J’avais un agent et j’ai fait quelques films. J’ai ensuite délaissé le cinéma pour les arts appliqués. A 18 ans, en fac d’arts plastiques, j’ai eu vent du projet de Bertrand Bonello (L’Apollonide : Souvenirs de la maison close, 2011). Le sujet m’intéressait, j’ai pu passer le casting et j’ai été retenue. L’appréhension était forte puisque je devais tourner des scènes nue, c’était mon premier long-métrage, avec des acteurs que je connaissais en tant que spectatrice comme Hafsia Herzi.

Pour L’Apollonide, j’ai vraiment été curieuse du projet et impressionnée à la lecture du scénario. Je connaissais ses films, son travail me donnait envie de collaborer avec lui. La suite, cela a été des propositions, qui passaient parfois par mon agent. Pour Catherine Corsini, j’adorais ce qu’elle faisait avant mais il arrive également que je découvre les auteurs quand ils me contactent.

─ Comment s’est passée la rencontre avec Albert Serra ?

J’ai entendu parler du projet et j’ai donc manifesté mon intérêt. Je connaissais le réalisateur par La Mort de Louis XIV (2016), que j’avais vu pour Jean-Pierre Léaud [dans le rôle titre, NDLR]. Le film m’a impressionnée. Albert Serra filme les costumes comme personne. Il donne vraiment l’impression de parvenir à voler un moment de l’époque.

─ Les acteurs n’ont reçu qu’un script assez court et presque sans dialogues. Comment appréhendiez-vous le projet ?

Tous les acteurs ne connaissaient que peu de choses sur le projet hormis le thème du libertinage. Chacun avait donc en commun une curiosité et s’attendait à avoir un scénario ou un plan de travail. Mais rien n’arrivait, on était en suspension, ce qui avec le recul n’était pas désagréable. On spéculait entre nous sur ce qu’on allait faire par rapport aux quelques indications reçues sur notre personnage. Seuls Marc Susini et Catalin Jugravu qui connaissaient Albert nous parlaient de sa manière de travailler. Finalement, en amont du tournage, Albert nous a pris à part et expliqué comment il comptait procéder, en mettant surtout en avant la liberté qu’il nous laissait.

─ Comment avez-vous préparé le rôle ? Notamment au niveau du langage, puisque qu’une grande place est laissée à l’improvisation ?

Avec Baptiste Pinteaux [également acteur dans Liberté, NDLR], nous essayions de nous imprégner par la lecture de textes, de pièces de théâtre de l’époque, d’auteurs comme Marivaux … Puisqu’on avait peu de dialogues et qu’il allait falloir improviser, nous essayions d’assimiler les tournures de phrase. Finalement, Albert nous a parfois donné du texte ou soufflé des phrases. Le langage s’est progressivement installé jusqu’à nous paraître naturel.

─ Les scènes étaient prévues en amont ? Jusqu’à quel point ?

Dans ma scène principale par exemple, il était prévu que je sois attachée, mais pas suspendue, cela s’est décidé dans un second temps. J’ai alors fait de nombreuses recherches sur le shibari. Puis d’autres éléments se sont rajoutés au tournage, comme le lait. Nous explorions beaucoup sur le plateau.

─ Comment se déroulait la construction d’une scène ? Comment abordiez-vous ce travail ?

Nous avions tous choisi d’être là, sans textes, avec ce simple thème du libertinage. Tout était possible, aller aussi loin que l’on voulait dans les scènes, mais aussi ne pas aller loin du tout. Albert nous donnait une direction puis les scènes se créaient sur le tournage. Les scènes dépendaient aussi beaucoup de ce que pouvaient proposer les acteurs impliqués. Baptiste, par exemple, était très porté sur les dialogues. Chacun y allait de sa proposition. Albert avait ses idées, mais nous n’étions jamais obligés d’accepter.

Les caméras nous étaient cachées, elles étaient partout et nulle part. Nous savions juste quel espace était filmé, une chaise à porteurs par exemple. Une fois entré dans l’espace, il fallait produire quelque chose, tout pouvait arriver. Comme j’incarnais une novice, mon personnage pouvait être assimilée à une proie. La tension était forte. Il m’est arrivée d’en avoir marre et de sortir d’une scène, ou d’avoir un fou rire nerveux.

─ Combien de temps a duré le tournage ?

Le tournage a duré entre trois et quatre semaines. Dans une région très chaude, aride, du Portugal, avec des scènes presque exclusivement tournées la nuit.

Vous avez découvert le film à Cannes, quelle impression vous a-t-il fait ?

J’étais assez sonnée. D’autant que je n’étais pas de toutes les scènes pendant le tournage. J’ai donc découvert à l’écran certaines scènes et les limites franchies. Bon, je n’ai pas non plus tout découvert puisqu’on se racontait nos scènes entre acteurs, mais je n’avais pas vu cela de mes propres yeux. Finalement, Albert Serra a éclaté mon carcan de ce qu’il est possible de montrer. En accumulant les scènes en abondance, il fait sauter quelque chose.

─ Très vite après Liberté, vous avez enchaîné avec un rôle dans Rêves de Jeunesse d’Alain Raoust ? Comment s’est passée la transition ?

Je l’ai tourné pendant Liberté. J’ai fait un aller-retour pour deux jours de tournage dans les Alpes au bord d’un lac. Cela m’a bousculée. Le tournage de nuit pour Liberté m’avait installée comme dans une bulle, j’ai adoré cette ambiance. Il a fallu éclater cette bulle et enchaîner avec un tournage plus conventionnel, de jour, avec un plan de travail, des dialogues, ce qui n’est évidemment pas un défaut. Mais cela a nécessité un léger travail pour revenir dans cette réalité.

─ Quels sont les cinéastes qui vous inspirent ?

Je pense automatiquement à Robert Bresson, à Jacques Doillon, je suis imprégnée de ces films. J’aime également Jean Eustache et David Lynch. Pour ce qui est de la jeune génération, j’ai toujours adoré Mati Diop, depuis ses premiers courts métrages. Le film de son oncle Djibril Diop Mambéty Touki Bouki, est également un de mes films préférés.

─ Quel est votre premier souvenir en salle ?

Je n’arrive pas à me rappeler. Mon film de l’enfance était Jeux Interdits, mais je me rappelle surtout de le voir en cassette.

─ La salle de cinéma est un lieu important pour vous ?

J’adore la salle. Pour les conditions techniques bien sûr, l’immersion totale surtout. J’aime le fait de prendre un temps juste pour cela. Je me projette des films chez moi, dans de bonnes conditions, mais c’est différent. Les films importants, je veux les voir en salles. Par exemple, j’aimerais voir Les Duellistes [premier film de Ridley Scott, NDLR], mais j’attends une ressortie plutôt que de le voir chez moi.
L’espace de la salle me plaît. Je vis à Strasbourg, où l’Odyssée est un exemple de salle incroyable qui me plonge dans l’univers du cinéma. Il m’arrive d’y aller juste pour être dans la grande salle, peu importe le film.

Le Semeur de Marine Francen (2017, ARP Selection)
Fort Buchanan de Benjamin Crotty (2015, Norte Distribution)

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Entretien réalisé par Sylvain Bianchi.

Image top : Liberté d’Albert Serra (2019, Sophie Dulac)

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