En salles depuis le 12 octobre, L’Innocent est le quatrième long-métrage de Louis Garrel, dans lequel il interprète également l’un des personnages principaux.
Retour sur notre rencontre avec Louis Garrel, quelques jours avant la sortie en salles de cette comédie policière.
─ On est interpellé par le titre du film, cela à directement à voir avec la notion de culpabilité des personnages ?
Louis Garrel : Oui c’était l’idée, le titre me plaisait car il appelait forcément le crime, c’était une manière aussi d’annoncer un des genres du film, le polar.
Et c’est aussi un peu ce que je veux raconter du crime, permettre au spectateur de s’attacher aux personnages en comprenant qu’au fond ils sont innocents du mal. C’est presque comme si on comprenait les raisons et que, sans leur pardonner, on avait envie de que le coup réussisse.
─ Vous voulez dire qu’ils le font pour une bonne raison ?
L.G. On pourrait dire qu’ils le font pour une raison sentimentale, c’est une bonne raison, c’est excusable.
─ Pourquoi avoir choisi le genre de la comédie policière ?
L.G. Au départ je voulais faire une intrigue de polar, comédie policière ça vient de moi qui ne peut pas faire sans l’humour. Je sais que quand les spectateurs savent qu’ils vont rire ils sont plus disposés à regarder. Donc au départ c’était vraiment un polar et puis les couches se sont superposées pour essayer de faire, ou du moins d’avoir le sentiment de faire, un film qui ne ressemble à aucun autre, de faire une pièce unique. En tout cas, le changement de registre en permanence c’est ce qui m’apparaissait le plus à même de divertir et surprendre les spectateurs qui pourraient trouver du plaisir à ne plus savoir le genre de scène à venir : va-t-elle être tragique ? triste ou d’action ? Il y a du rocambolesque pour être le plus divertissant possible, pour faire un film un peu d’évasion et ne pas faire une chronique sentimentale ordinaire. Mais en même temps, ce qui relie les personnages est tragique car je ne voulais pas sacrifier cette étude sentimentale au profit de la comédie.
─ Vous vous êtes inspiré de votre propre vécu pour écrire le scénario ?
L.G. Oui, dans le dossier de presse je raconte que ma mère travaillait en prison donc à la maison il y avait souvent des gens qui en sortaient. Ils s’amusaient à me raconter des histoires parce que moi je leur posais toujours des questions sur les raisons de leur emprisonnement ou encore le nombre d’années passées en prison, eux entretenaient le côté romanesque de leurs histoires.
J’ai tricoté entre des souvenirs autobiographiques et un film totalement inventé. J’aimais bien cet enchevêtrement car je me sentais assez légitime pour faire ce film. Quand il a fallu tourner en prison et demander à Roschdy Zem de jouer quelqu’un qui venait de sortir de prison, j’ai demandé à Jean Claude Pautot qui joue son associé, un comédien amateur qui a fait 15 ans de prison et quand je parlais avec lui j’avais l’impression que je le connaissais et je que je pouvais jouer avec lui.
─ Comment avez-vous construit ce casting ? Aviez-vous en tête les acteurs à l’écriture des rôles ?
L.G. Je voulais que le film soit un film de performance d’acteur : ce n’est pas les acteurs eux même que je filme donc il fallait que les personnages soient le plus dessinés possible. C’est aussi car je suis moi-même acteur alors je réfléchis ainsi, plus un personnage existe en lui-même plus un acteur va avoir du plaisir à l’interpréter donc j’avais vraiment l’idée que les quatre personnages devaient être très dessinés.
J’ai croisé Roschdy que j’admire comme acteur mais je voulais le voir en duo. Je sais que quand on voit un film on se souvient de grands couples et alors tout d’un coup j’ai vu Roschdy et Anouk et ça m’a paru évident, la fiction était parfaite, sexuellement très probable entre eux. Je voulais vraiment que le personnage de Sylvie ait une sexualité forte, je ne voulais pas d’un mariage platonique, il fallait presque être un peu gêné par le désir qui émanait de ces deux personnages. Ensuite pour Noémie on a filmé une scène et j’ai trouvé que ça fonctionnait. J’imaginais qu’Anouk allait être aussi forte, j’imaginais que Roschdy allait être aussi fort mais je n’imaginais pas que Noémie, parce qu’elle ne l’avait jamais fait, allait autant se transcender. Et c’est vrai que Noémie m’a vraiment impressionné, j’avais l’impression qu’elle était emportée par un élan de jeu génial.
─ Quand vous parlez du jeu de Noémie, on pense notamment aux scènes où elle feint de jouer un rôle, comment est venue l’idée du jeu dans le jeu ?
L.G. J’ai pensé que ça serait drôle de faire semblant de ne pas savoir jouer face à Roschdy et les personnages d’ex-détenus, qu’ils sachent mieux jouer la comédie que le personnage que je joue qui n’a aucun lien avec le théâtre. Je me suis dit que ça allait être un jeu pour le spectateur qui allait pouvoir participer, parce que c’est un film de personnages, tout est à vue.
Et ça me plaisait d’un point de vue narratif d’imaginer que pour préparer un braquage il fallait faire semblant de faire quelque chose, semblant de faire une scène d’amour, de dispute amoureuse et que pour arriver à cette dispute amoureuse il fallait que quelqu’un y croit. Le chauffeur de camion c’est un spectateur auquel s’identifier, sauf que vous avez un train d’avance sur lui puisque que vous savez que c’est un jeu mais en même temps vous êtes aussi perdu parce que vous voyez qu’il se passe autre chose que ce qui était prévu.
─ Ce n’est pas le premier long-métrage pour lequel vous êtes à la fois réalisateur et acteur, pourquoi est-ce si important pour vous de jouer dans vos films ?
L.G. Au début j’ai douté, je me demandais si je n’étais pas un peu trop vieux pour jouer ce personnage. Mais cela vient de la façon dont j’aime construire mes films : au début je joue les scènes aux scénaristes puis à l’équipe technique, lorsqu’il faut des photos pour la scénographie c’est moi qui me place. Je vois déjà le film avec un acteur dans le champ, moi. Et j’aime être proche des acteurs quand ils jouent et pas être derrière la caméra. Ce n’est pas toujours facile, par exemple la scène du braquage où le metteur en scène était très content mais l’acteur très stressé.
─ Dans les films que vous réalisez, les personnages que vous incarnez s’appellent toujours Abel, pourquoi ?
L.G. Je sais ne pas pourquoi je garde le même prénom, enfin si, je me dis que si je change pour Jean-Jacques je vais me tromper. Dès que je mets en scène et que je joue dedans c’est Abel. C’est un peu comme quand on pense au personnage de Charlot, des personnages qui n’ont pas beaucoup en commun si ce n’est l’anxiété, il y a une sorte de cousinage.
─ Tout au long du film, on ne peut que remarquer l’omniprésence de la chanson de variété, pourquoi ce choix ?
L.G. Il fallait que le film ait un premier degré sentimental et les chansons de variété c’est du premier degré sentimental, même quand on est un peu snob on a du mal à y résister. J’espère que le film est un film de variété, qui peut être regardé par tout le monde. La chanson de variété c’est de la chanson grand public, tout le monde peut s’identifier aux paroles d’une chanson de variété parce qu’elle conserve cet élan sentimental et de fougue.
Et puis il fallait que le film baigne dans l’atmosphère de la jeunesse de la mère, mon idée c’était de dire : qui est Sylvie ? Une femme qui n’a jamais renoncé à sa joie depuis qu’elle a 20 ans et au fur et à mesure des années elle n’a jamais renoncé, jamais changé de point de vue sur l’optimisme amoureux donc elle écoute toujours ces chansons-là qui sont des chansons d’amour simple.
Je me suis mis dans la peau d’un spectateur italien qui veut voir un film français, c’est pour ça que j’ai mis autant de variété française, je voulais que le film résonne.
─ Pourquoi avez-vous tourné à Lyon ?
L.G. Parce que j’ai un rapport plus naïf à Lyon qu’à Paris donc je m’autorisais plus à filmer des endroits touristiques que je trouvais cinégéniques. À Paris j’aurais été embêté de tourner place Saint-Michel. Et puis j’aimais bien le fait que se soit une grande ville mais plus petite que Paris, je ne pourrais pas l’expliquer mais je trouvais ça mieux d’ouvrir un magasin de fleurs à Lyon plutôt qu’à Paris, un « Monceau Fleurs ». Paris c’était trop grand pour cette histoire, puis j’aimais bien changer de ville. Et Lyon a été moins filmé, Paris a été filmé des milliers de fois et c’est difficile d’arriver à se renouveler.
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Entretien groupé réalisé par Naomi Camara.
Crédits photos top et article : © Ad Vitam