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Rencontre avec Emma Benestan

Actus

Publié le : Mercredi 27 novembre 2024

Séances Spéciales vous emmène à la rencontre de la cinéaste Emma Benestan, à l’occasion de la sortie de son second long métrage Animale, en salles le 27 novembre. 


Pourriez-vous revenir sur l’origine du projet et sur vos influences ?

Emma Benestan :J’ai grandi à 45 min du lieu de tournage. J’ai réalisé deux documentaires sur la Camargue dont un sur Marie Ségrétier, première raseteuse à être dans l’arène de la course camarguaise. J’ai passé 2 ans avec elle, cela m’a inspiré le projet : une femme dans un milieu très masculin comme la course camarguaise.

Je suis également amatrice de film de genre, j’ai grandi avec Buffy contre les vampires. Le genre me permet de faire des métaphores sur des sujets que j’ai envie de traiter. La Camargue me semblait tellement magique et mythologique, je trouve qu’elle invite au fantastique. Ce projet est donc né de mon travail de documentaire et de mes envies très fictionnelles.

Dans le projet, c’était assez difficile pour le chef opérateur (Ruben Impens) et moi de construire une radicalité. Nous avons longuement parlé de nos références (Le Loup-garou de Londres ou encore It Follows) et de nos envies de cadre. C’est un film de genre et non pas un documentaire. Nous voulions y raconter la tension, violence et le rapport aux bêtes ou à l’environnement par la caméra, un langage visuel qui nous aide à retranscrire la sensation de l’héroïne.

Vous parlez de tension du territoire, comment s’est déroulé le tournage sur ce territoire qui peut parfois être hostile ?

En préparation c’était assez dur, car plein de gens n’aimaient pas le projet du film. Pour eux une femme dans une arène, ça n’existe pas, ou du moins, c’est compliqué.
Finalement, je n’ai travaillé qu’avec des gens du coin, que ce soit les acteurs et les figurants. C’était nécessaire pour moi. Je pense que le fait d’avoir travaillé avec des personnes qui connaissaient très bien leur sujet, a renversé les choses et d’un coup, on a eu beaucoup plus d’alliés que d’ennemis.

D’ailleurs, avez-vous eu des retours de manadiers, suite aux premières projections ?

C’est un film de genre, il a donc sa part de fiction. En revanche, l’ancrage local est plutôt juste. Le film n’est ni un documentaire ni un hommage, mais les scènes qui reprennent cet ancrage là paraissent justes pour eux. Je voulais une vérité, dans les gestes et dans ce qui se passe. Bien évidement il y a des scènes très fictionnalisées, mais pour tout ce qui est tradition ou comment montrer la course, c’est quelque chose qui a été plutôt bien reçu. Il y aura toujours de gens qui n’aimeront pas le fantastique.

Parmi les figures majeures du film, il y a les taureaux. Comment avez-vous travaillé avec ces animaux sauvages ?

C’était très dur. Nous avons eu l’aide de Renaud Vinuesa, qui nous a prêté ses taureaux. Il nous a guidé pour que nous puissions avoir les plans que nous voulions. Il fallait s’adapter à la nature et non l’inverse. On voyait ce que le taureau faisait dans l’arène et en fonction Oulaya (interprète de Nejma) faisait l’inverse. Il y a des scènes pour lesquelles des petites équipes partaient filmer pendant des heures pour avoir le plan d’un taureau. On ne peut pas lui dicter ses mouvements. Il y avait donc un mélange d’imprévus que nous avons dû maîtriser tout en contrôlant le cadrage, afin de saisir en un temps très court ce que nous recherchions.

Il y avait quand même une sorte de tension car on ne peut pas refaire les choses avec eux. Il n’y a aucune souffrance voulue dans le film et pendant le tournage. C’était difficile, mais aussi très beau. Lorsqu’on tourne, on a envie de tout maîtriser et là, on attendait que la nature nous offre ce qu’elle souhaitait nous donner.

C’est intéressant de voir Nejma évoluer dans un milieu violent et très masculin, tout en étant entourée de personnages masculins très tendres avec elle comme Tony ou Léonard.

C’était important d’avoir des choses plus ambivalentes. Je voulais montrer la tendresse qu’ils ont envers leurs bêtes et qu’il peut y avoir dans certaines relations hommes-femmes. L’amitié est très importante pour moi, toujours présente dans mes projets. Le film parle et questionne la violence dans différents aspects. Mais j’espère avoir quelque chose de solaire et puissant à la fin.

Vous évoquiez précédemment Marie Ségrétier (raseteuse suivie lors d’un documentaire), est-ce que c’est à travers ce que vous avez observé de ses expériences où c’est plutôt un point de départ pour raconter une fiction ?

Il faut le voir comme un point de départ pour une fiction, qui m’amène vers des réflexions plus générales sur le sexisme. Il y a néanmoins des choses très inspirées des choses que j’ai pu voir. Je pense à une scène du bar quand on lui dit « c’est pas mal pour une fille », je l’ai déjà entendu. C’est une fiction avec la Camargue en décor, un endroit magique et profond, pour interroger ces thématiques-là.

Vous travaillez avec Oulaya Amamra, déjà rôle principal de votre premier long-métrage Fragile. Un film dans lequel vous interrogeait, entre autre, la virilité, et où vous racontez « des histoires avec des gens issus de l’immigration »*. Est-ce qu’ici c’est une réflexion commune avec Animale ?

C’est totalement voulu. C’est un vrai ancrage sociologique. En Camargue, ceux qui gagnent les trophées des courses camarguaises sont issus de l’immigration. Ça peut s’apparenter au foot dans les cités. C’est un endroit où il y a de l’ascension sociale pour les enfants d’immigrés contrairement au milieu des manadiers. C’était très important pour moi, en tant que franco-algérienne, d’avoir une fille à cheval typée comme moi. Elle ne se pose ni la question de son sexe, ni de sa couleur de peau. En tant que fille d’immigrés elle existe. Pour le coup c’est proche de la réalité, car les derniers raseteurs sont issus de l’immigration, j’y ai ajouté un personnage féminin. Ce qui est fou pour un milieu qui, sur les questions migratoires, vote plutôt à droite et à l’extrême droite.

* https://www.rts.ch/info/culture/cinema/13567818-fragile-une-comedie-romantique-solaire-et-appetissante.htmlt

Crédit photo : Wild Bunch
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