Séances Spéciales vous emmène à la rencontre du cinéaste Mehdi M. Barsaoui, à l’occasion de la sortie de son second long métrage Aïcha, en salles le 19 mars.
Le scénario s’inspire d’un fait réel. Pourquoi cela a déclenché l’écriture du scénario ?
Mehdi M. Barsaoui : L’idée du film est venue en différentes étapes.
J’ai entendu parler de cette histoire : une jeune femme a miraculeusement survécu à un accident de bus, et a décidé de feindre sa mort pour tester l’amour de ses parents. Au moment où j’en ai entendu parler, je ne savais pas que ça serait le sujet de mon deuxième long-métrage.
Des mois plus tard, j’ai appris que ma femme et moi allions devenir parents d’une petite fille. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé dans ma tête, il y a eu un jeu de projection, je me suis identifié à ses parents : et si un jour ma fille faisait la même chose ? C’est ainsi que je me suis intéressé à cette histoire.
Le travail de documentation m’a convaincu que je ne souhaitais pas filmer ce moment de vie réelle. J’ai décidé de m’en affranchir complétement en imaginant le parcours fictif d’un personnage que j’ai dessiné, c’est comme ça qu’est née l’histoire d’Aïcha.
Au cours de l’histoire, elle n’est pas épargnée entre la misogynie, la pression familiale, les injonctions au mariage et à la virginité, l’injustice, la corruption … 14 ans après le printemps arabe, quel est votre regard sur la société tunisienne ?
Je pense que mon regard est omniprésent. Aïcha, c’est le portrait d’une femme, et la radioscopie d’un pays, une dizaine d’années après ce qu’on a vécu en 2011. Je n’aime pas le terme que je trouve un peu prétentieux, mais c’est un état des lieux de ce qu’est la Tunisie, bien qu’il soit difficile de généraliser ce qu’est la société en 2h03. Mais c’est un peu mon regard sur la situation actuelle de mon pays, là où je suis né, là où je vis. À savoir le parcours du combattant que cela peut être, en tant que femme, sans connaissances, sans diplôme, d’une petite ville pour vivre.
Ça parle de différentes Tunisie, chaque jeune peut s’y reconnaître. Je sors d’une tournée promotionnelle tunisienne, c’était génial, car ce ne sont pas seulement les femmes qui s’identifient à Aya. Il y aussi des jeunes, des hommes, des opprimés. Le film parle de différentes injustices : sociale, économique ou encore judiciaire. J’aspire à briser un peu le cercle de ces injustices.
Comment avez-vous rencontré Fatma Sfar, l’interprète magnétique d’Aya ?
Je ne la connaissais pas avant le casting, elle faisait essentiellement du théâtre. La recherche a été très longue, car c’est le genre de rôle qui porte le film sur ses épaules. Il fallait quelqu’un qui arrive à me convaincre, et surtout qui arrive à se métamorphoser psychiquement et physiquement. Quand j’ai rencontré Fatma, elle m’a hypnotisé par son magnétisme épidermique. Elle est comme un aimant qui attire la lumière.
Je voyais une métamorphose concrète, palpable, à travers le physique. Toute seule, elle arrive à exprimer les différentes facettes de mon personnage. Elle joue la même personne sous des identités différentes.

Contrairement à Fatma Sfar, le personnage de Farès, est interprété par Nidhal Saadi, une star de la télévision en Tunisie.
Ce sont deux profils complètement différents. J’essaie de faire confiance à mon instinct.
Physiquement, il correspondait parfaitement à l’image que je me faisais de Farès, même s’il a dû prendre vingt kilos pour le film. Je crois solennellement que plus la distance entre le personnage et l’acteur est courte, plus le rôle est réussi. L’acteur n’a pas à se transformer, il n’a qu’à être devant la caméra. J’ai tout fait pour que Nidhal aille vers Farès, le policier que je me suis imaginé. Il a décidé de jouer le jeu, malgré sa notoriété. Il offre quelque chose de nouveau, en montrant une nouvelle facette de son talent. Je me suis retrouvé avec différents profils sur le tournage, c’était excitant.
Si nous continuons sur le casting, vous avez dit que vous considériez les villes de Tunis et Tozeur comme des personnages, pourquoi ce traitement ?
Le sud, honnêtement, je ne le sais pas. Je suis viscéralement attiré par le Sud, mais je ne saurais l’expliquer, il faudrait que je demande à mon psychanalyste. L’aridité, la sécheresse, je trouve que ça raconte beaucoup sur la société qu’est le Sud tunisien. Ça, c’est ma réponse d’auteur et scénariste.
Le technicien lui vous dira que c’est parce que le contraste est flagrant, entre les deux paysages. Le film est un voyage initiatique vers l’inconnu, mais aussi la recherche de soi. Il fallait partir d’un point A complètement différent d’un point B. Tunis, c’est New York pour les gens de Tozeur. Pour avoir été un peu en Afrique, Tozeur ressemble beaucoup à Niamey ou Djibouti. Il y a un côté urbain, mais ancré dans la Terre. C’est une ville qui résiste au sable, mais ce dernier est omniprésent. Contrairement à Tunis, très vert et fleuri. Je trouvais le contraste très intéressant.
J’ai choisi de filmer ces villes à travers le regard des personnages afin d’éviter les clichés touristiques. Plutôt que de capturer la médina ou Sidi Bou Saïd, j’ai filmé ce qui attirait Aya : l’aspect ultra-moderne de la ville, l’alcool, les boîtes de nuit.
Vous évoquiez votre côté technicien (Mehdi est également monteur), comme pour votre premier film, vous avez choisi de filmer en format scope et gros plan.
J’aime beaucoup le scope, que ce soit en plan large ou serré. Cela permet de raconter et d’intégrer beaucoup de choses dans le plan. Il me permet de monter dans le plan sans couper, c’est une forme de montage.
Ça m’offre une certaine esthétique, j’aime beaucoup jouer avec les lignes et perspectives. Cela me permet de raconter à travers l’esthétique sans pour autant trop appuyer sur le trait. Cela illustre la dérive du personnage à travers d’interminables couloirs, l’oppression ressentie dans les gros plans, ou encore la façon dont elle se fond dans la foule à travers de vastes plans larges. C’est un langage cinématographique qui raconte beaucoup.
Le titre du film est un prénom, le personnage en aura plusieurs, comment les a-t-elle choisis ?
Ce n’est pas très original, Aïcha en arabe veut dire vivant. Il s’est imposé dès le stade embryonnaire. Je joue un peu sur les mots, mais c’est surtout un prénom. En arabe, il veut aussi dire verset du Coran, c’est délibéré, ça donne aussi une connotation religieuse à son prénom. Avec religion rime malheureusement dans certains pays arabes et musulmans, une certaine oppression et certains dogmes.
Elle a choisi Amira, qui veut dire princesse, en pensant vivre son rêve. Elle réalisera bientôt que c’est en réalité un cauchemar.
Elle veut être vivante, c’est une réplique du film « je veux être Aïcha ». Je ne voulais pas changer le sens de la traduction parce que techniquement, elle dit « je veux être vivante », je joue sur les sens des mots.
Vous parliez de votre tournée promotionnelle en Tunisie, quels sont les premiers retours ?
Nous avons reçu un très bel accueil. Recevoir les retours des spectateurs, et surtout des spectatrices, qui m’ont exprimé leur amour pour le film est l’un des plus beaux témoignages que j’ai pu avoir.
Crédit photo : Jour2Fête
Entretien réalisé par Naomi Camara