En salles depuis le 19 octobre, Reprise en main est la première fiction du documentariste Gilles Perret (Ma mondialisation en 2006, La Sociale en 2016 ou L’Insoumis en 2018). On y découvre Cédric (interprété par Pierre Deladonchamps) ouvrier dans une usine de décolletage de Haute-Savoie, qui, à l’aide de ces amis d’enfance (dont Alain, interprété par Grégory Montel) va tout faire pour entraver un énième rachat de son usine par LBO, en créer son propre fonds d’investissement.
Retour sur notre rencontre avec le réalisateur Gilles Perret, Marion Richoux co-scénariste et directrice artistique et Grégory Montel, acteur.
─ Vous avez choisi de faire une fiction sur un sujet que vous avez déjà traité dans le documentaire, à savoir le monde ouvrier.
Gilles Perret : J’espère, mais je ne crois pas que le film soit caricatural avec de gentils ouvriers et des méchants patrons. J’avais déjà traité ce thème avec mon premier documentaire sorti au cinéma, Ma mondialisation, à savoir l’impact de la finance sur l’industrie à travers le portrait d’un patron. On avait quasiment que des patrons qui intervenaient dans le film, des patrons d’industries et des producteurs qui ne voyaient pas forcement d’un bon œil l’arrivée de la finance dans leur monde. C’est vrai que j’ai plutôt l’habitude de traiter des questions sociales et mettre en avant plutôt des gens de peu que des gens qui brillent déjà beaucoup et qui n’ont pas forcément besoin de lumière.
Avec cette première fiction, c’était l’occasion de revenir sur ces thèmes là et en ayant la totale liberté d’inventer une histoire très documentée car tout part de faits réels. Partir du réel ça permettait d’inventer un scénario dans lequel nous pouvions proposer une alternative à cette prédation du monde financier sur les entreprises en décrivant une comédie sociale : des ouvriers se regroupant pour utiliser les outils de la finance et les retourner contre elle. Ça, c’était possible par la fiction et c’est pour ça que je suis passé à la fiction avec Marion, ça nous laissait plus de liberté pour inventer des choses et proposer des éventuelles solutions qui seront reprises ou pas, nous verrons à partir du 19 octobre.
─ Comment avez-vous travaillé en duo sur l’écriture du scénario ?
Marion Richoux : On a d’abord travaillé pendant plusieurs années tous les deux et puis on a été rejoint par Raphaëlle Valbrune-Desplechin sur la dernière année, c’était une aventure riche. Avec Gilles on se connait bien et on sait où on veut aller. Il a les idées de départ puis moi j’essaie de mettre des petites touches plus subtiles pour que ça fasse cinéma, en ajoutant du quotidien dans les séquences imaginées. Le pari du film c’était d’arriver à faire digérer toute cette intrigue financière avec les à cotes : la vie de famille, l’usine et la montagne, c’était très agréable à faire.
─ Pourquoi avoir choisi Cluses comme lieu d’action ?
G.P. Pourquoi ? Parce qu’on vit dans un département qui est très riche, la Haute-Savoie. Généralement on montre ce qui y brille comme les stations de sport d’hiver, Megève, Chamonix ou Annecy qui est une ville bourgeoise et riche, mais riche aussi de PME et généralement l’industrie c’est quelque chose qu’on ne montre pas. On ne la montre déjà pas en général parce que ça fait une trente ans qu’on dévalorise ces métiers là au profit de, pour le dire rapidement, la startup nation et des métiers de services. Du coup, encore plus en Haute-Savoie, on cache ces industries alors qu’elles représentent un quart du PIB départemental, qu’elles sont florissantes et high tech, pas sur le déclin. L’usine dans laquelle on tourne travaille pour tous les constructeurs automobiles du monde en Europe et en Asie donc ce n’est pas une industrie sur le déclin. C’est peu mis en avant parce que ça fait quarante ans qu’on nous dit que l’industrie c’est terminée, qu’il faut tout délocaliser et qu’ici on vivra dans une économie de service, au service de qui ? On ne sait pas parce qu’à partir du moment où on ne produit plus rien je ne sais pas pour qui vont travailler toutes ces entreprises de services. Je fais un peu de politique, mais je crois qu’à cause de tous ces politiques irresponsables, on commence à en payer le prix cher. Donc le film est aussi là pour dire que ça existe, on produit des choses et les gens qui travaillent dans ces entreprises sont plutôt bien payés et avec des métiers qui sont parfois bien plus intéressant et valorisant que des métiers de services où ce n’est pas toujours très joyeux.
─ Vous avez facilement eu l’autorisation de tourner dans cette usine ?
G.P. Oui, c’est une histoire de copain tout ce film. Le propriétaire est le fils du patron que je suis dans mon premier film Ma mondialisation, j’ai été au lycée puis en colocation avec lui pendant 3 ans. Le personnage de Denis existe vraiment, nous étions dans la même classe. Du coup on a gardé cette amitié même si nous ne partageons pas forcement, voir pas du tout les mêmes idées politiques on peut se retrouver sur le sujet de l’industrie ou sur les questions de production ou redistribution des richesses. Les amitiés restent, cela nous a permis l’accès à des décors que nous ne pouvions pas nous offrir avec notre budget restreint. Sans la mise à disposition par toutes les collectivités locales et amis de tous ces décors gratuits, ça aurait été très difficile de faire ce film.
─ Tout au long du film, on voit beaucoup la montagne, pourquoi vouliez-vous autant la mettre en avant ?
G.P. Je pratique l’escale, la falaise que l’on voit je l’ai grimpé mais je crois que j’aime bien la faire voir car je sais que c’est une partie importante de notre vie à la montagne, que l’on soit ouvrier ou patron. Aussi, il y a une symbolique de sommet, dès l’ouverture du film on se dit que Cédric n’est pas comme les autres ou en tout cas, on n’est pas trop surpris de voir qu’il s’engage avec ses amis dans une aventure complétement folle sans avoir peur de rien. Donc la symbolique elle est là aussi.
─ Grégory, comment avez-vous abordé votre rôle de banquier ?
Grégory Montel : Ce qui m’intéressait c’était cette histoire d’amitié. Et puis ce banquier m’a intéressé car c’est un conseillé de clientèle traditionnel, on peut dire en bas de l’échelle, lui aussi soumis à de rudes obligations de la part ses supérieurs car il doit faire du chiffre puis lui aussi est touché par la même problématique que c’est camarade ouvrier. Il est là pour faire du chiffre et se rend compte que la qualité de ses journées de travail baisse et qu’il ne sait plus pour qui il travaille lui non plus, ça me plaisait bien. Et puis l’amitié c’est quelque chose qui m’a beaucoup parlé, l’idée aussi de se lancer dans une entreprise commune avec le côté un pour tous et tous pour un c’est ce que je retiens aussi de ce film. Un peu comme les mousquetaires, on va essayer d’y arriver tous ensemble. Enfin il y a pleins de chose, j’ai beaucoup aimé ce scénario et faire partie du casting et raconter ces histoires de gens invisibles.
─ Vous avez eu des retours d’ouvriers ?
G.P. Le premier soir, oui.
M.R. Certains jouaient dans le film.
G.P. Oui on en voit certains de façon récurrente, il y a un ouvrier avec une queue de cheval, je le connais depuis 25 ans et lors du dernier plan il a pleuré tant il était fier d’avoir participé. Ensuite nous sommes restés cinq jours en Savoie, et il y avait de plus en plus de monde, on a fait 2 400 spectateurs sur les 5 jours, les gens cherchaient à voir grâce au bouche à oreille, les gens s’y retrouvaient vraiment. À la limite que ça plaise ou qu’on critique c’est une chose mais si on c’était pris un four avec les gens et qu’ils ne s’étaient pas retrouvés dans ce film ça aurait dur pour moi.
─ Pensez-vous que cela donnera des idées ?
G.P. Si pour une fois la fiction pouvait servir au réel ça serait chouette. Et puis un truc qui est sur c’est que si vous voyez l’état dans lequel sorte les spectateurs, même si c’est une fable et bien les spectateurs ont la pêche, ils ont passé un bon moment et rien que ça c’est super en ce moment. Même s’il y a des batailles à mener dans l’automne qui s’annonce pas terrible ça donne un peu d’énergie.
G.M. Oui, savoir que des choses sont possibles ça fait du bien.
G.P. Je crois à l’amitié et à la force du groupe, si vous regardez tout mon travail documentaire sur nos grandes histoires sociales c’est toujours quand on est ensemble qu’on a fait progresser l’humanité et non pas quand on a fait croire à la réussite individuelle bling-bling et à la startup nation, mettre les gens les uns contre les autres ont sait on ça nous mène.
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Entretien groupé réalisé par Naomi Camara.
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