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“Twist À Bamako” : rencontre avec le réalisateur Robert Guédiguian

Entretien avec...
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Publié le : Mardi 4 janvier 2022

En salles ce mercredi 5 janvier, Twist à Bamako est le dernier film de Robert Guédiguian. Le cinéaste marseillais a quitté sa ville natale pour le Sénégal, où le film a été tourné, le Mali ayant été écarté pour des raisons de sécurité. Porté par un jeune casting (Stéphane Bak, Alicia Da Luz Gomes, Saabo Balde, Bakary Diombera…), le film nous emmène dans les années 60, dans un Mali tout juste indépendant et qui tente de se convertir au socialisme, porté par une jeunesse qui se mélange dans les clubs de twist de la capitale. Samba, jeune révolutionnaire, et Lara, qui fuit un mariage forcé, tombent amoureux mais, comme leur pays, ils vont devoir lutter pour rendre leur utopie réaliste. Nous avons rencontré Robet Guédiguian à l’occasion d’une avant-première de son film au cinéma Les Variétés à Marseille.

Twist à Bamako est un voyage sur le continent africain, au Mali, à une époque euphorique, celle de l’indépendance. Ce film partait d’une envie d’explorer d’autres horizons après Gloria Mundi, qui posait des constats assez pessimistes ?

Tous les trois quatre films, je quitte mon théâtre marseillais pour aller travailler dans d’autres théâtres. Je suis allé comme ça en Arménie (Le Voyage en Arménie, 2006), à Beyrouth (Une histoire de fou, 2015), et cette fois au Sénégal ! J’avais aussi tourné Le Promeneur du Champ-de Mars (2005) qui était une échappée totale comparée à mon parcours habituel. C’est nécessaire pour moi, même si mon regard et ma réflexion reste les mêmes. Je ne change pas en allant travailler ailleurs. Mais j’en reviens chargé d’autres sentiments.

Le film a une influence esthétique assez claire, celle des photographies de Malik Sidibé. Comment avez-vous découvert son travail ?

Ma fille ainée m’a emmené voir une exposition qui lui était consacrée (Malick Sidibé, Mali Twist à la Fondation Cartier). J’ai été très impressionné par la jeunesse qui se dégageait de ces photos. Cela transpirait la joie, la vitalité, c’était très exaltant. J’ai beaucoup d’amis autour de moi qui ont des photos de Malick Sidibé chez eux, car ces clichés sont réjouissants. Tous ces jeunes qui sont très beaux, très extravagants, qui dansent, font les clowns, car l’humour est aussi une composante du travail de Sidibé.

Tout cela m’a interpellé et nous avons eu envie d’en faire quelque chose. En nous renseignant, notamment grâce au commissaire de l’exposition, on a découvert un « continent », si j’ose dire. L’histoire de l’indépendance du Mail, cette tentative de création d’un état socialiste africain, la contre-révolution des commerçants… J’ai sauté sur l’occasion de tirer ce fil-là.

Le tournage s’est déroulé au Sénégal. Comment avez-vous constitué votre équipe ?

Nous avons d’abord cherché quelqu’un qui connait le terrain, en la personne d’Angèle Diabang, une jeune productrice avec laquelle nous avions déjà collaboré. Avec elle, nous avons cherché les acteurs et actrices. Je me suis aussi renseigné auprès de mes amis cinéastes : Abderrahmane Sissako, Mahamat-Saleh Haroun et Alain Gomis. Tous avaient travaillé avec le même assistant, Demba Dieye, que j’ai donc contacté en lui disant qu’apparemment on ne pouvait pas travailler sans lui (rires) ! Il a été d’une aide précieuse pour le repérage des lieux, la connaissance du pays, de la figuration, des organisations. De mon côté, je suis parti avec ma garde rapprochée : mon équipe d’assistants et de régisseurs qui sont toujours avec moi depuis trente ans. Pour le reste, nous avons fait appel à des professionnels d’Afrique de l’Ouest, à majorité du Sénégal.

Le twist à une place centrale dans le film. Pour la jeunesse, c’est une activité festive, euphorique et pour les élites révolutionnaires cela devient très vite un objet de défiance. Plaisir et révolution sont incompatibles ?

C’est la question que pose le film. Celle à laquelle Samba répond en reprenant Lénine « Le socialisme, c’est l’électrification plus les soviets plus le twist ! ». Je ne vois pas pourquoi le socialisme serait cantonné au sérieux, au travail, à l’austérité et le capitalisme serait lui la fête, l’entreprise, la joie de vivre. Dès la Seconde Guerre mondiale on opposait déjà les hordes soviétiques aux boys américains. Il faut vraiment sortir de cette histoire-là, c’est la révolution qui est une fête et le capitalisme qui est une oppression !

Votre manière de filmer le travail va dans ce sens. Le travail révolutionnaire est montré comme bien plus enchanté, plus participatif.

Oui, car on travaille pour soi, et pas pour quelqu’un qui va nous donner une petite part de la production. Quand on travaille pour soi-même, c’est du travail non aliéné, dont on n’est pas dépossédé. Il y a beaucoup plus d’enthousiasme.

Au-delà de cette question du plaisir et de la révolution, vous montrez aussi les principales raisons qui mènent à la contre-révolution : la pression monétaire et le néocolonialisme à travers le nom de Jacques Foccart qui renvoie à la « Françafrique ». Dans un tel contexte, ces révolutions étaient condamnées à échouer ?

« Nous n’étions pas prêts pour le socialisme et l’indépendance sans le socialisme ça n’existe pas ». C’est ce que dit le personnage de Namori, un beau personnage qui est au pouvoir et se retrouve confronté au réel. C’est une phrase avec laquelle je suis d’accord, ce sont des pays qui n’ont jamais été indépendants, qui sont passés du colonialisme au néocolonialisme. Aujourd’hui, on se promène à Dakar, la moitié du port appartient à Bolloré…

On peut se poser la question de ce qui reste de ces expériences. Vous qui êtes militant communiste depuis 1968, est-ce que vous percevez un héritage de l’action de ces icônes révolutionnaires, on pourrait citer Thomas Sankara au Burkina Faso ?

Oui, Sankara est dans la filiation totale de Patrice Lumumba au Congo, de Kwame Nkrumah au Ghana. Ce sont des grands personnages. Mais il faut sans relâche réveiller cet héritage. C’est mon devoir, ma mission de veiller à cette transmission. C’est la force du cinéma de pouvoir transmettre ces histoires.

C’est donc un travail d’éducation populaire. Une transmission qui dans le film se fait à travers le parti politique…

Cette éducation pouvait se faire dans les partis, les syndicats. Aujourd’hui, tout le monde réclame de l’horizontalité mais avec l’horizontalité la transmission ne se fait pas. Il faut un cadre institutionnel qui perdure dans le temps. Quand je suis arrivé au Parti Communiste, il y avait des militants qui avaient 80 ans, des héros de la résistance, qui m’ont parlé directement. La transmission se fait de manière naturelle dans ces organisations.

Vous faites un parallèle final avec le Mali aujourd’hui. En profitant de la parution de votre livre Les lendemains chanteront-ils encore ? (Ed. Les Liens qui libèrent) je voulais vous demander quels espaces politiques vous donnent de l’espoir ?

Il y a des victoires, comme les Fralib, des zones à défendre, des expériences que j’appelle des « moments communistes » et qui j’espère dureront dans le temps. On est dans un moment où les choses se passent beaucoup de manière locale, spécifique. Il manque un mouvement général, qui pourrait fédérer toutes ces expériences et accéder à la verticalité du pouvoir, c’est-à-dire l’État. Mais des expériences récentes comme les Gilets Jaunes par exemple m’ont enthousiasmé. Quand j’entends que la France est « ingouvernable » je suis ravi ! Mais il faut des débouchés politiques à ces combats, il faut pouvoir influer les décisions qui impactent la vie de tous les jours.

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Entretien réalisé par Sylvain Bianchi.

Crédits photos top et article : Twist À Bamako de Robert Guédiguian ©AGAT FILMS

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