Un fils retrouve les salles de cinéma après le confinement
Entretien avec Chantal Fischer, productrice du film
Premier long métrage du réalisateur tunisien Mehdi Barsaoui, Un fils, raconte l’histoire d’un jeune couple, Farès et Meriem, qui composent avec Aziz, leur fils âgé de 9 ans, une famille tunisienne moderne et privilégiée. Voyageant dans le sud du pays, ils se retrouvent pris au piège dans une embuscade tendue par un groupe terroriste, durant laquelle Aziz est grièvement blessé. A travers ce fait divers et cette lutte pour la survie du jeune garçon, Mehdi Barsaoui brosse un portrait de la Tunisie contemporaine.
Mais Un fils, c’est aussi l’histoire d’un film sélectionné dans de nombreux festivals dont la Mostra de Venise, durant laquelle l’acteur principal a été récompensé par le prix d’interprétation masculine dans la section Orizzonti. Sorti en salles le 11 mars, le film a vu son exploitation subitement interrompue par le confinement, stoppant malheureusement la vie d’un film prometteur. Comment fait-on face à cette situation ? A l’heure de la réouverture des salles, et de la ressortie du film, nous avons posé quelques questions à sa productrice, Chantal Fischer (13 Productions), basée à Marseille.
─ À l’annonce de la fermeture des salles, Un fils venait de sortir, pouvez-vous revenir sur cette interruption, alors que le film semblait bénéficier d’un bon accueil presse et public ?
Comme vous le savez, les salles ont fermé le samedi 14 mars. Le film est donc resté à l’affiche 4 jours ! Malgré cela, il a fait 21 000 entrées, en comptant les avant-première Télérama qui avaient eu lieu avant la sortie, ce qui était un résultat très encourageant. D’autant qu’il avait été sélectionné dans une cinquantaine de festivals et était porté par un accueil presse dithyrambique.
De plus, le film a été pris en distribution par les circuits UGC, Pathé et Gaumont, bénéficiant d’une campagne d’affichage conséquente et coûteuse. De nombreuses affiches sont d’ailleurs restées en place pendant le confinement !
─ À partir de là, le film se retrouve dans une situation inédite, où seulement une partie du public l’a vu et le reste ne peut plus le voir, quelles étaient les possibilités ? La question de basculer le film en VOD a-t-elle été une option envisageable ?
Suite au confinement, le CNC a fait passer une circulaire pour anticiper les sorties VOD (un film ne peut sortir en VOD que plusieurs mois après sa sortie en salle, suivant un délai allant de 4 à 36 mois). La question s’est donc posée : sortir tout de suite le film en VOD ou attendre la fin du confinement en espérant que les films ressortent dans l’ordre ?
Si le film avait fait un nombre d’entrée ridicule et que l’on ne croyait pas en sa carrière en salles, nous aurions choisi la VOD mais au vu de l’accueil et du soutien des salles, nous avons choisi d’attendre. Pour toutes ces raisons, il sera de nouveau au cinéma à la réouverture. Nous avons eu un fort soutien de la part des salles, des festivals et de personnes qui nous ont envoyé des messages très touchants et ont exprimé leur volonté d’accompagner le film, ce que nous sommes prêts à faire avec l’équipe du film.
Pour ce qui est de la VOD en général, et uniquement de mon point de vue, rien ne remplace la salle de cinéma, l’écran, le son, cette obscurité dans laquelle elle nous plonge. Pour autant c’est un complément intéressant à la salle, quand le film a été vu, sur un temps différent, il peut faire une autre vie.
Le Festival d’Aubagne, qui s’est tenu en ligne pendant le confinement, a d’ailleurs programmé le film avec une audience tout à fait acceptable. Mais la VOD, c’est un nombre de vues restreint, une économie à plus petite échelle, on fait moins de publicité et c’est moins cher mais ça rapporte moins. Évidemment, cela ne nous empêchera pas de le sortir en VOD une fois son exploitation en salle terminée.
─ Aujourd’hui, le film est finalement présent à la réouverture des salles. Au vu des thèmes traités et du décor principal (la majeure partie du film se déroule dans et à proximité d’un hôpital, pensez-vous que le regard du public va changer sur le film ?
C’est clair ! (Rires) Après, je fais confiance à la cinéphilie du public, de nos salles et à leur engagement. Il faut se fier à la beauté du film. Mais vous avez raison les regards vont changer.
En ce moment, je travaille beaucoup avec mes auteurs sur les prochains films que je vais produire et on se disait qu’écrire demain un film qui va se financer dans les mois qui viennent et se tournera dans les années qui viennent ne peut se faire en faisant abstraction du contexte. On a aujourd’hui un regard différent qui correspond à notre vécu, sur le confinement, tout comme plus largement sur l’évolution de la condition féminine, l’homophobie etc…
Pour résumer, il est évident que ce qui s’est passé a déjà nuit au film, on ne se voile pas la face, cette sortie avortée, son intrigue dans un hôpital, mais cela ne nous a pas fait renoncer à le ressortir. Mais nous avons confiance en la cinéphilie des spectateurs. Ceux qui seront au rendez-vous à la réouverture des salles, des gens qui ont souffert de ne pas être dans une salle, devant un grand écran dans l’obscurité et qui pourront découvrir ce film.
─ En plus du cas de Un fils, comment le Covid-19 et le confinement ont impacté votre activité ?
Nous avons joué de malchance à 13 Productions, entre Un Fils qui est sorti le 11 mars et un téléfilm de Philippe Faucon pour France 3 dont le tournage devait commencer fin mars, qui a donc été bloqué. Heureusement, les assurances sont intervenues et les techniciens ont pu bénéficier du chômage technique. Maintenant, nous discutons avec elles des conditions de reprise de tournage.
Cela pose de nombreuses questions, on se demande si on peut mettre toute une équipe 21 jours dans un même lieu. Il faudrait nettoyer les outils de travail en permanence mais sur un tournage on sait bien que les techniciens sont physiquement proches, même s’ils portent un masque, sans parler des comédiens, que l’on ne peut imaginer masqués, ou encore des figurants, qui sont de passage sur le plateau pour des temps très courts.
Ce qui se passe dans notre domaine est terrible, tout a été arrêté. Heureusement, nous ne sommes pas en arrêt au niveau de la réflexion, de l’écriture. Pour l’instant, je produis deux longs métrages qui sont des films d’époque : un qui se passe dans les années 60 à Marseille qui raconte la vie du bandit Charlie Bauer et un autre qui se passe au Liban en 58 et qui parle d’une famille chrétienne libanaise. Pour ce qui est raconté dans ces deux films, on peut faire un lien politique très fort avec ce qu’il se passe globalement en France, au-delà même de la crise actuelle.
Chantal Fischer sera le mardi 23 juin à 21h au cinéma l’Alhambra à Marseille pour présenter le film : Retrouvez les informations dans notre agenda
────
Entretien réalisé par Sylvain Bianchi