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[Entretien] Caroline Bonmarchand (Avenue B), productrice de Sébastien Marnier

Entretien avec...

Publié le : Mardi 30 mars 2021

A l’occasion du tournage de L’Origine du mal, dernier film de Sébastien Marnier, nous avons rencontré la productrice Caroline Bonmarchand (Avenue B Productions), récemment récompensée du Prix Daniel-Toscan-du-Plantier, décerné chaque année quelques jours avant la cérémonie des Césars. Elle revient avec nous sur son travail et sa relation avec Sébastien Marnier dont elle a produit les trois premiers films : Irréprochable (2016), L’Heure de la sortie (2018) et aujourd’hui L’Origine du mal, avec Laure Calamy, Dominique Blanc, Doria Tillier et Jacques Weber…
Pouvez-vous revenir sur l’histoire d’Avenue B Productions ?

J’ai créé Avenue B à mon retour des Etats-Unis, à la fin de l’année 2002. Pour l’anecdote, « Avenue B » était en fait l’adresse où je vivais à New-York. Là-bas, j’ai produit les trois premiers longs métrages d’un garçon qui s’appelle Raphaël Nadjari (The Shade (1999), I Am Josh Polonski’s Brother (2001), Apartment #5C (2002)). En rentrant en France, j’avais le choix entre intégrer une grosse structure ou monter ma boîte, ce que j’ai fait.

Pourquoi ?

J’avais déjà goûté au plaisir de produire en indépendante. Je n’avais pas envie d’avoir à rendre des comptes à quelqu’un d’autre et voulais pouvoir choisir les projets sur lesquels j’allais travailler. J’avais l’impression que pour exercer pleinement mon rôle de productrice, il me fallait être autonome.

La rencontre avec Sébastien Marnier s’est faite à l’occasion de son premier long métrage. Comment cela s’est-il passé ? Qu’est ce qui vous plait et continue à vous plaire dans son travail puisque vous l’accompagnez pour son troisième film consécutif ?

J’ai rencontré Sébastien par l’intermédiaire de Marina Foïs. Sébastien lui avait transmis le scénario d’Irréprochable et souhaitait lui confier le rôle principal. Il se trouve que j’avais déjà tourné avec Marina à l’occasion de La Ritournelle de Marc Fitoussi (2014), produit par Avenue B. Sébastien était à la recherche d’un producteur, il m’a déposé son scénario le jour même et j’ai trouvé cela absolument génial. Le film s’est fait avec Marina dans le rôle principal, et depuis on ne s’est pas quittés. C’était vraiment un coup de cœur sur le texte, sur le scénario, que j’aimais beaucoup. Depuis, nous avons avec Sébastien une relation presque quotidienne, il vient travailler dans nos bureaux. Après ce premier projet ensemble, nous avons fait L’Heure de la sortie, et aujourd’hui L’Origine du mal, et j’espère qu’il y en aura beaucoup d’autres.

Plus généralement, comment est-ce que vous développez vos projets ? Est-ce que vous cherchez des scénarios ? Est-ce que les auteurs viennent à vous ?

Cela dépend. Il est vrai que j’aime accompagner les auteurs avec lesquels je m’entends bien. Il y en a plusieurs chez Avenue B : Raphaël Nadjari, Marc Fitoussi, Sébastien Marnier… Et j’espère qu’il y en aura bien d’autres. L’idée est d’accompagner des auteurs « maison » et puis de grandir avec eux. Puis il y a aussi l’envie d’être une tête chercheuse, de découvrir des talents mais également d’aller en chercher, comme cela a pu être le cas avec Sophie Letourneur. C’est quelqu’un dont j’aimais déjà le travail, je le lui ai fait savoir et elle est venue me proposer Enorme (2019).

C’est cette démarche qui a pu être récompensée par le prix Daniel-Toscan-du-Plantier cette année ?

C’est une des interprétations possibles. Ce qui est certain, c’est que c’est en lien avec Enorme. Et puis cette année, il y a eu aussi Seize printemps, un premier long métrage d’une très jeune réalisatrice de dix-huit ans : Suzanne Lyndon, sélectionnée dans le cadre du Label Cannes 2020. C’est peut-être un petit peu tout ça, le film de Sébastien aussi…

Le dernier numéro des Cahiers du Cinéma (n°774, Mars 2021) a consacré une table ronde à la profession de productrice, durant laquelle sont évoquées les potentielles limites liées au genre dans ce métier. Quel est votre regard sur le métier de producteur, quand on est une productrice ?

Je ne me sens pas du tout limitée. J’ai commencé de manière un peu atypique, hors de mon pays, aux Etats-Unis avec des films en langue anglaise. Après oui, on subit des difficultés, une forme de machisme par moment. C’est par exemple plus compliqué de faire des films ambitieux financièrement. Il y a une sorte de plafond de verre dans les budgets octroyés, peut-être que c’est aussi une sorte d’autolimitation pour certaines. On considère en tous cas que les productrices doivent s’intéresser à des sujets plus féminins, à des films plus psychologiques. Cela n’est pas du tout mon cas. J’aime beaucoup aller vers le cinéma de genre. Je fais du thriller, du fantastique, de la comédie… Je n’ai pas du tout envie de me limiter.

Je trouve que le fait d’être une femme est plutôt un atout dans mon travail. D’abord parce qu’entre femmes productrices il y a une vraie solidarité, une sororité qui n’existe pas forcément chez les hommes. Et puis on tend la main aussi aux nouvelles générations de jeunes productrices. Là aussi, il y a une forme de solidarité, d’accompagnement, qui n’existe pas forcément chez les hommes. Il y a de plus en plus de femmes qui sont à des positions de pouvoir, dans les chaînes de télévision, etc. Donc je pense qu’il y a une forme de solidarité qui existe, qui est naturelle. On a suffisamment attendu le moment de pouvoir le faire pour pouvoir en profiter aujourd’hui.

Vous avez aujourd’hui plusieurs films qui sont en attente de sortie, en raison de la crise sanitaire…

Il y a donc le film de Suzanne Lyndon, sélectionné à Cannes et montré dans une trentaine de festivals, à San Sebastian, Toronto et de nombreux autres en ligne… C’est un film qui a fait le tour du monde, qui s’est très bien vendu. Il devait sortir en décembre dernier, a été repoussé à février, et aujourd’hui on attend la réouverture des salles. Il y a aussi un film de Samuel Theis, qui avait réalisé Party Girl avec deux autres cinéastes, Claire Burger et Marie Amachoukeli, pour lequel ils avaient obtenu la Caméra d’or à Cannes. Nous avons fait ensemble un film qui s’appelle Petite Nature, tourné il y a maintenant un an et demi et que l’on a mis aussi entre parenthèses car nous aimerions le lancer dans un grand festival. Nous n’avons pas voulu prendre le Label Cannes, en espérant pouvoir le montrer en présentiel. On a la chance d’avoir un distributeur, Ad Vitam, qui adore le film et a accepté de prendre le risque d’attendre. Tout cela entraîne des surcoûts mais nous sommes prêts à les assumer parce nous pensons que le film peut vraiment faire événement à sa sortie.

Cela pose aussi la question de l’embouteillage des films à la réouverture des salles.

L’embouteillage va surtout toucher les films qui sortiront dès la réouverture, c’est-à-dire pour nous peut être Seize printemps. Nous avons aussi un film qui s’appelle Dune Dreams réalisé par Samuel Doux., C’est un premier long métrage, tourné à Dubaï avec Benoît Magimel. Là aussi, le film attend de savoir où est-ce qu’il va être lancé en festival, et comment est-ce qu’il va exister sur le marché national et international.

Revenons à L’Origine du mal. Comment le Covid-19 a-t-il altéré votre travail de production ? Je pense notamment au casting pour L’Origine du mal, un casting presque exclusivement féminin constitué autour de Laure Calamy ?

Le Covid-19 a fait que beaucoup de films ont été repoussés. Donc les disponibilités des actrices ont changé. En fait, c’est toujours la même histoire. Mais les changements de casting ont été l’occasion de se réinventer. Ces aléas arrivent toujours pour le mieux d’une certaine manière. Nous sommes ravis de ce casting d’actrices et de femmes. Il n’y a quasiment que des personnages féminins, à part le père, et plusieurs de ces femmes portent d’ailleurs des prénoms masculins. C’est un film qui questionne l’identité et d’une certaine manière la fin d’une société patriarcale dominante.

La Villa Rocabella, « Les Sources » dans le film, demeure luxueuse située au Pradet, occupe un rôle central dans l’intrigue. Sébastien Marnier tourne assez peu dans Paris et installe souvent ses intrigues hors de la capitale. Que cherchait-il pour L’Origine du mal ?

Il cherchait une lumière d’hiver du Sud et avait donc situé son intrigue entre Fos-sur-Mer et Porquerolles. La maison est bien évidemment importante, car il y a aussi l’idée d’un personnage qui est une sorte de transfuge de classe. C’est quelqu’un qui vient d’un milieu modeste et qui arrive dans un milieu extrêmement riche. C’est quelque chose qui traverse le cinéma de Sébastien. Que ce soit dans Irréprochable, avec le personnage de Marina Foïs qui arrivait d’un milieu populaire et qui retournait dans la petite bourgeoisie provinciale. Ou le personnage de Laurent Lafitte dans L’heure de la sortie, un petit prof qui vivote et se retrouve à enseigner dans un lycée privé, avec des enfants qui sont tous d’origine sociale très aisée. Il y a toujours cette idée du rapport de classe, de ce rapport malaisant qui fait que l’on ne peut pas se sentir à sa place. Ce sont des questionnements propres à Sébastien et qui nous intéressent.

Sébastien Marnier montre également comment la société peut pousser à la folie : que ce soit dans Irréprochable où Marina Foïs cherche absolument à intégrer le marché de l’emploi jusqu’à commettre des actes fous. Dans L’Heure de la sortie, ce sont plutôt des enfants extra-lucides qui sont horrifiés par l’état du monde. Retranscrire cette folie permet d’ailleurs à Sébastien Marnier de basculer vers le cinéma de genre.

Tout à fait. Plus exactement, je dirais qu’il y a l’idée de montrer comment la société produit ses propres fous, ses propres monstres. Et la question du monstre, au sens figuratif, est une question qui traverse également ses films. Cette fois-ci, dans L’Origine du mal, il pose cette question vis-à-vis de la famille, comment elle peut rendre fou, constituer un frein.

Sébastien Marnier sur le tournage de Irréprochable (2016) / Memento Films
Irréprochable de Sébastien Marnier (2016) / Memento Films
Irréprochable de Sébastien Marnier (2016) / Memento Films
L'heure de la sortie de Sébastien Marnier (2018) / Haut et Court
La Villa Rocabella / Michel Brussol - Commission Film Var
Tournage de L'Origine du mal / Michel Brussol - Commission Film Var

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Entretien réalisé par Sylvain Bianchi.

Crédits image top : Veeren/Bestimage

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