La 8e édition des Rencontres internationales de cinéma, coproduites par l’association Aflam et par le Mucem, aura bien lieu ! Après une édition 2020 annulée pour cause de pandémie mondiale, les spectateurs pourront retrouver en ligne et en accès libre la création cinématographique récente en provenance de nombreux pays du monde arabe. L’équipe d’Aflam a répondu aux questions de Séances Spéciales.
─ Les Rencontres internationales de cinéma existent depuis 2013. Au départ du festival, il y a l’association Aflam, installée à Marseille. Pouvez-vous revenir sur la création de l’association et la naissance du festival ?
Aflam existe depuis 20 ans. L’association est née de l’envie de faire connaître à un public aussi large que possible les cinématographies du monde arabe. Pendant la première décennie, nous avons travaillé autour de cycles qui mettaient chaque année en valeur la cinématographie d’un pays. En 2013, la nomination de Marseille comme capitale européenne de la culture nous a donné l’opportunité de créer le festival, d’abord à la Villa Méditerranée puis au Mucem dès l’année suivante. Ce dernier est aujourd’hui devenu un lieu d’accueil mais aussi le coproducteur du festival. Ces dernières années, nous avons également développé des propositions d’ateliers et conservé la programmation des Ecrans d’Aflam, un rendez-vous régulier, thématique, qui nous permet une certaine liberté de programmation, au-delà de la création contemporaine proposée durant le festival.
─ En 2020, la pandémie vous a contraint à l’annulation de votre édition, prévue en mars. Comment avez-vous vécu cet événement hors du commun ?
Cela a été un choc. Nous avons pris de plein fouet la première vague de la pandémie qui nous a contraints à annuler le festival et faire le deuil d’un travail très avancé. Au fil du printemps, nous avons proposé des choses en ligne. Puis à l’automne, nous avons pu concevoir une édition des Ecrans d’Aflam, intitulée « Cinéma en Lutte », profitant de la reprise de la vie culturelle qui nous a permis quelques projections avant que tout ne s’arrête à nouveau.
─ Cette nouvelle fermeture, qui dure encore aujourd’hui, vous a décidé à organiser l’édition 2021 en ligne. Comment avez-vous construit cela ?
A vrai dire, l’édition 2021 va se jouer en deux temps. D’abord une première partie en ligne et en accès gratuit, du 26 mars au 4 avril. Puis, un deuxième temps en présentiel au Mucem du 15 au 17 octobre avec une rétrospective de l’oeuvre du cinéaste franco-mauritanien Med Hondo, accompagnée d’une installation de films en partenariat avec la Cinémathèque de Tanger et Think Tanger. Entre temps, nous travaillons à présenter en itinérance dans nos cinémas partenaires un cycle sur le cinéma arménien.
─ Attardons-nous donc sur l’édition en ligne, quelle forme prendra-t-elle et qu’est-ce que le public pourra y découvrir ?
Du 26 mars au 4 avril, deux films seront dévoilés chaque jour sur notre plateforme et resteront disponibles 48h, avec une jauge limitée. Le public pourra ainsi découvrir 20 films récents, 15 longs métrages et 5 courts métrages, à dominance documentaire. Nous avons articulé cette programmation autour de trois thématiques.
La première, « Palestine : l’histoire n’est pas finie », met en avant le cinéma palestinien avec 4 films qui ont en commun leur engagement tout en proposant chacun une forme très différente. Ces films nous paraissent témoigner de la résistance des Palestiniens, qui n’ont pas renoncé à leur culture et à leur pays, et proposent un cinéma à multiples facettes, en provenance des Territoires occupés, d’Israël ou de la diaspora. Ces films prouvent que l’histoire n’est pas terminée, que la culture palestinienne n’est pas éteinte, bien au contraire car ces cinéastes sont jeunes et incarnent une relève à suivre.
La deuxième thématique, « Traces de la révolution et récits de lutte », est celle de l’anniversaire des 10 ans des soulèvements dans les pays arabes. Un anniversaire qu’il est difficile de qualifier d’heureux, mais dont nous avons voulu témoigner par des films en provenance du Maroc, de la Tunisie, de la Syrie, de l’Egypte ou encore du Soudan. Des oeuvres à la fois dramatiques mais aussi plus légères, non dépourvues d’humour, qui interrogent la reconstruction possible.
La troisième thématique, « Que reste-il des colonies ? Regards et enquêtes de cinéastes », met en valeur une nouvelle génération de réalisatrices et réalisateurs qui explore son histoire coloniale par le cinéma. Principalement documentaires, ces films réinventent des façons de témoigner du passé à partir d’archives et de récits familiaux, et questionnent l’après, l’héritage d’un esprit impérialiste qui colonise encore les individus et les sociétés.
─ Vous proposez également deux films en provenance d’Arabie Saoudite, qui échappent aux trois thématiques mentionnées plus haut.
Ce sont deux fictions qui sont à part du reste de la programmation. Deux films qui sont aussi deux premiers longs métrages. L’un nous plonge dans un univers très masculin, sur plusieurs générations, autour du départ du grand père qui va bientôt mourir. L’autre au contraire raconte l’histoire d’une jeune fille d’un village, défendue par son père. Il y a donc ce dialogue entre ces deux films qui montrent un jeune homme et une jeune fille à l’écran. Ces films sont des témoins d’un cinéma saoudien en train de naitre et qui porte déjà un regard critique sur sa société, questionne les traditions et les mythes.
─ En racontant les débuts de l’activité d’Aflam, vous évoquiez vos propositions comme des rétrospectives nationales. Aujourd’hui, comment abordez-vous chaque année une zone aussi large que le monde arabe, vaste et hétérogène, pour constituer la programmation du festival ?
Lorsque nous recevons les films, nous n’avons pas en tête de quota, par genre ou par pays. Simplement, des films émergent au milieu des autres. Cela a par exemple été le cas cette année avec les films palestiniens. Nous ne sommes pas partis avec l’idée de faire un focus sur la Palestine mais ces propositions avaient une originalité que l’on n’a pas trouvée ailleurs. Tout comme nous ne nous sommes pas sentis obligés de traiter les 10 ans des soulèvements dans les pays arabes. Mais il y a eu des films qui abordaient la question de manière intéressante. Chaque année contient ses surprises. Ce qui est presque magique, c’est la manière dont les films choisis finissent par se nourrir les uns les autres au fur et à mesure que le festival avance.
─ Un festival est par définition un moment de rassemblement, de rencontres autour de films. Les salles fermées, il a fallu se replier vers le numérique. Qu’est-ce que cela a changé, notamment dans l’accompagnement des films vers le public ?
Programmer en ligne est différent. Nous avons surtout prêté attention à défendre le mieux possible les films, à créer malgré tout une rencontre. C’est pourquoi nous avons demandé à chaque cinéaste de nous transmettre une vidéo de présentation pour associer une parole et une personne au film. Pour remplacer nos habituels café-ciné, nous avons confié au collectif de fabrication sonore Copie Carbone, dont les membres sont aussi de jeunes cinéastes, la création de podcasts, sous la forme d’entretiens avec les cinéastes. Enfin, nous avons assuré un travail de terrain pour présenter notre sélection là où cela est possible. Par exemple, nous passerons plusieurs jours aux Baumettes début avril, nous voulons organiser un atelier jury au sein d’une structure scolaire, pour qu’un film qu’ils auront choisi puisse être montré aux élèves. Cela compte énormément pour nous que ces films soient vus par un public large et diversifié.
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Entretien réalisé par Sylvain Bianchi, avec l’aide de Charlotte Menut.
Crédits image top : Sukar d’Ilias El Faris / Shortcuts