À l’occasion de la 4ème édition du festival Agir pour le vivant, Séances Spéciales a échangé avec Floris Schruijer, co-réalisateur du documentaire “Tu nourriras le monde”.
Le film est projeté jeudi 24 août à 14h au cinéma Le Méjan à Arles, en présence Floris Schruijer et acteurs associatifs du pays d’Arles.
Pourriez-vous revenir sur la genèse du projet documentaire « Tu nourriras le monde » ?
Floris Schruijer : Nathan Pirard et moi-même sommes tous deux agronomes. À la fin de notre formation, nous avons dû faire un diagnostic agraire, à savoir un travail de recherche dans une région céréalière à l’est de Paris qui s’appelle la Champagne crayeuse. À cette occasion nous avons rencontré énormément d’agriculteurs et agricultrices, étudié toute l’histoire des transformations agraires et politiques qui ont eu lieu dans cette région et qui ont complétement bouleversé à la fois le paysage mais aussi les l’agriculture en industrialisant les pratiques. On a voulu illustrer les phénomènes de modernisation et d’industrialisation de l’agriculture en Europe, en prenant cette région comme exemple. C’est donc suite à ce mémoire de recherche que nous avons voulu faire ce film.
En parallèle nous sommes aussi impliqués dans une association créée pendant nos études qui s’appelle « Parole de paysans ». C’est un média qui aborde les questions d’agriculture et d’alimentation, il est fait pour sensibiliser le grand public et particulièrement les jeunes. C’est grâce à cette association que nous avons pu porter le film.
Pourquoi avoir choisi une forme documentaire ?
Floris Schruijer : Pourquoi ? Parce que cela nous plaisait. Je fais de la photographie et un peu de vidéo depuis que je suis au lycée. Ensuite, c’est un outil très puissant pour transmettre des idées et cela permettait de montrer une réalité tout en essayant d’être le plus fidèle. Nous avons à la fois des témoignages, des archives, il y a de la musique et la voix off qui permettent de se plonger dans l’histoire et de comprendre de manière ludique les thématiques abordées. Je trouve aussi que c’est peut-être plus accessible pour quelqu’un qui n’est pas forcément intéressé par ce sujet (bien que j’aie conscience que globalement les personnes qui ont vu le documentaire sont déjà intéressées). Je n’exclus cependant pas l’idée d’écrire un bouquin un jour ou d’utiliser d’autres formes de transmission.
Comme vous le disiez précédemment, vous vous adressez aussi beaucoup aux jeunes, quels sont les premiers retours par rapport à ces diffusions ?
Floris Schruijer : Nous avons visité plus d’une vingtaine d’établissements scolaires. Les retours furent globalement très positifs.
Nous avons un récit d’histoire qui n’est peut-être pas celui qu’on apprend sur les bancs de l’école, certains élèves ont du mal à remettre en cause le travail de leurs parents et grands-parents, c’est aussi beaucoup de bouleversement pour ces jeunes.
Nous avons observé que dans les lycées situés dans des zones de cultures (céréales, betteraves) les élèves prennent moins la parole, réagissent moins facilement. Je l’interprète comme une forme de pression exercée par leur famille, ou d’idéologies d’anciennes générations, à savoir : produire beaucoup pour se dégager un revenu ou nourrir le monde. C’est tout ça que nous essayons de déconstruire ensemble en expliquant pourquoi a-t-on cherché à produire beaucoup et cela remet plein de choses en question. Certains étudiants ont beaucoup de mal à l’entendre. Néanmoins, le film reprend certains points du programme scolaire cela permet aux professeur.e.s de l’utiliser. Nous semons un peu des graines et, même si à chaud les élèves ne réagissent pas, au fond cela les fait réfléchir. Ils pourront ensuite débattre sur la notion de « nourrir » ou sur des questions de productivité. Nous avons aussi observé c’est que dans des régions plutôt d’élevages, il y a un peu plus de recul par rapport au film, peut-être parce qu’on ne parle pas de leur histoire, la parole s’y libère plus facilement. Les jeunes sont assez au fait des cercles d’endettement et de ce modèle agricole qui est à bout de souffle et qui ne peut plus répondre aux enjeux sociétaux et environnementaux. Donc ça dépend des régions, des élèves et même du nombre d’élèves qu’on a face à nous, car évidemment lorsqu’ils sont 200 c’est beaucoup plus dur de prendre la parole, en petit groupe les échanges sont plus riches.
Avec près d’une vingtaine de projections en établissements scolaires et plus d’une cinquantaine dans des festivals, cinémas, nous avons eu des publics très variés.
Lorsqu’il y a un public uniquement composé de professionnels, des agriculteurs on peut aller loin dans la technique et dans les questions politiques. On va aussi se heurter à des conflits très forts, car le monde agricole est baigné dans des idéologies très différentes. D’un côté il y a un syndicat la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles) qui promeut encore cette agriculture productiviste dans cette logique de rester compétitif sur les marchés internationaux. De l’autre côté il y a d’autre syndicats comme la Confédération Paysanne dont nous portons les valeurs et qui revendique d’avantage une agriculture paysanne à taille humaine, en cherchant plutôt l’autonomie et l’économie, ce sont des débats très intéressants. On a aussi des ciné-débat avec le grand public qui se mélange avec des agriculteurs et je trouve cela aussi important que ces deux réalités se rencontrent.
Pour toutes diffusions, contacter Floris Schruijer
Plus d’informations sur l’association Paroles de Paysans
Entretien réalisé par Naomi Camara