Publié le : Mercredi 8 décembre 2021

En salles ce 8 décembre, Une femme du monde est le premier film de Cécile Ducrocq, dans lequel Laure Calamy (Dix pour cent, Antoinette dans les Cévennes…) incarne Marie, prostituée depuis 20 ans et mère d’Adrien, 17 ans. Elle refuse de voir ce dernier rater ses études et décide de tout faire pour lui payer une école réputée, privée, aux frais d’inscriptions mirobolants. Pour trouver l’argent en un temps record, Marie va devoir travailler plus, se mettre en danger. Laure Calamy, récompensée cette année du César de la meilleure actrice pour Antoinette dans les Cévennes, reprend ici un personnage qu’elle avait incarné en 2014 dans le court-métrage La Contre-allée signé là aussi Cécile Ducrocq. Du court au long, Laure Calamy interprète intensément cette femme lancée dans une course contre le déterminisme social. Nous avons rencontré l’actrice à l’occasion d’une avant-première du film aux Variétés à Marseille.

Pour la seconde fois, vous collaborez avec Cécile Ducrocq dans un rôle de prostituée, qu’est-ce qui vous séduit dans ces personnages ?

Avec Cécile, nous avons en commun d’avoir toujours été intriguées, questionnées, par les figures féminines de prostituées, que ce soit dans le cinéma ou dans la vie.

Ce qui m’a séduite dans ce que racontait Cécile, c’était la liberté de cette femme. Ce n’est pas une victime, ce n’est pas une femme qui veut sortir de la prostitution, c’est une femme qui se bat pour ses droits de prostituée et qui cherche à en obtenir plus. Cécile avait rencontré une prostituée et avait vu au mur la photo d’un enfant. Elle avait été surprise puis cela lui était vite paru évident, tout en l’interrogeant sur ce que cela impliquait dans la vie de tous les jours.

C’est ce que je trouve beau dans le film, mettre le personnage dans des situations tout à fait banales, que tout le monde vit. Au fond, l’histoire de ce film c’est quand même une histoire d’amour entre elle et son fils, d’une mère seule qui élève cet enfant et qui veut le sortir de son déterminisme social.

Comment avez-vous travaillé votre rôle ? Quelles étaient vos inspirations ?

J’ai le sentiment d’avoir déjà un imaginaire très nourri de ce que peut être la vie d’une prostituée, au sens d’une femme qui ferait ça librement. Il se trouve que j’ai découvert Grisélidis Réal – un être exceptionnel – en 2004, année de réédition de ses écrits. Mon personnage n’a rien à voir avec elle, c’était également une artiste, peintre, poète, mais on lui fait un petit clin d’œil dans le film à travers le carnet dans lequel Marie prend des notes sur ses clients. Et puis j’ai lu d’autres choses, par exemple sur des transsexuels qui se prostituent.

Pour ce qui est du cinéma, Mamma Roma est un de mes films préférés, tout comme Les Nuits de Cabiria de Fellini. C’est vrai qu’on a l’habitude de regarder ces femmes comme des victimes, mais ce qui me plaît – en tout cas dans les figures de Mamma Roma ou Grisélidis – c’est leur liberté de femme. Je trouve finalement assez infantilisant de considérer qu’elles ne pourraient pas faire volontairement ce choix de vie.

Le rapport au corps est central dans la question de la prostitution, comment abordiez-vous cela ?
Vous savez, je suis une actrice de théâtre, pour moi le corps existe entièrement, quand je suis sur scène, je n’ai pas l’habitude qu’il soit découpé (rires). La nudité n’est pas du tout un endroit de pudeur. Le corps est un instrument de travail, comme pour un danseur, ou une prostituée. J’aime raconter des histoires, des émotions avec mon corps, le mettre en jeu. Souvent, je dis que le corps est un champ de bataille, dans le sens où il me semble qu’on raconte vraiment l’humain. Et puis, je trouve qu’il y a quelque chose de tellement intemporel dans le corps nu, c’est universel et extrêmement beau. Mais au cinéma, le nu n’est plus très sulfureux comme il l’a été au départ. Alors que je trouve ça encore au théâtre. Par exemple quand on joue devant des scolaires, ils sont : « Oooh !! », on sent qu’il y a encore quelque chose, c’est là, devant vous, vous pouvez nous toucher, il y a quelque chose qui est très, très beau.
Le film montre différentes facettes de la réalité de la prostitution, notamment dans la fragilité des prostituées qui ne sont que peu protégées ?

Bien sûr, il y a une violence. Il y a une violence qui est intrinsèque à la précarité. Dans le court métrage, et on retrouve cela à nouveau dans le film, mon personnage était confronté à la concurrence des prostituées des réseaux mafieux,une prostitution horrible où les femmes sont séquestrées. Là on a rajouté l’histoire de son fils pour lequel elle se bat et se retrouve obliger de se prostituer d’une manière qu’elle déteste pour augmenter ses revenus, loin de la façon dont elle veut exercer son métier. À partir du moment où les gens n’ont pas de droits, ne sont pas protégés, c’est une exploitation totale. C’est ça qui fait la dangerosité du métier.

Qu’est-ce que vous aimez dans le travail avec Cécile Ducrocq ?

D’abord, il y a une confiance entre nous sur le fait qu’on peut travailler ensemble. Et puis ce que j’aime avec Cécile, c’est qu’elle est à la fois très précise, elle sait exactement ce qu’elle ne veut pas, mais se permet également d’explorer sur le plateau. Par exemple, on essayait de faire des prises vraiment différentes, où d’un coup, un des deux acteurs ne disait plus son texte, ou alors on rejouait la scène en silence, des choses comme ça. Cela pouvait créer des choses étonnantes. Et puis, Cécile est assez impressionnante. Quand on est réalisatrice ou réalisateur, on est le capitaine d’un énorme paquebot, tout le monde vient vous demander un milliard de trucs ! Et il y a le temps, qui était précieux car on avait seulement six semaines de tournage.

Pour rester sur le travail d’acteur, vous l’avez dit, c’est surtout un film sur une mère et son fils. Le fils est brillamment incarné. J’aimerais bien que vous reveniez sur comment le duo s’est construit avec Nissim Renard ? Je trouve qu’il a une vraie capacité à répondre dans le film.

Complètement. C’est ce qu’on a vu tout de suite. Les premiers essais que nous avons fait avec de jeunes acteurs, c’était encore trop tôt, trop fragile. Cécile voulait de la fragilité, mais elle voulait aussi du répondant. Et d’un coup, il y a eu Nissim qui a vraiment fait la différence, qui se défendait très bien. C’est d’ailleurs une autre chose que j’adore chez Cécile. Elle n’a pas peur que le personnage parle fort, haut et fort ! (rires). C’est un peu ce que j’aimais dans le cinéma italien, dans Mamma Roma, ils parlent fort tout le temps. C’est agréable de pouvoir aussi prendre possession du son !

Du personnage de Suzanne – celui du court métrage tourné en 2014 – à celui de Marie – du long métrage – qu’est-ce que vous avez retrouvé, ajouté ?

D’abord il y a une écriture, celle de Cécile qui est la même. Pour moi, j’étais heureuse de pouvoir déployer l’histoire de cette femme dans du quotidien, dans des situations que tout le monde vit, des situations où, malgré la singularité de ce métier, on s’identifie à elle, une mère qui se bat pour son fils. La question à laquelle j’avais toujours envie de répondre c’est : quelle prostituée j’aurais été, moi ? C’était un très beau tournage, la relation avec Nissim, et puis avec tout le monde, avec les acteurs et actrices – et il y en a qui étaient vraiment de l’association du STRASS (Syndicat du Travail Sexuel en France) – c’était magnifique, j’ai adoré faire ça.

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Entretien réalisé par Sylvain Bianchi.

Crédits photos top et article : Une femme du monde de Cécile Ducrocq  ©Tandem Films

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