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“L’Origine du mal” : entretien avec Sébastien Marnier, Doria Tillier et Jacques Weber

Entretien avec...

Publié le : Mercredi 19 octobre 2022

En salles depuis le 5 octobre, L’Origine du mal est le troisième long-métrage de Sébastien Marnier. On y découvre Dominique Blanc ( Milou en mai, Stand-by…), Céleste Brunnquell ( Les Éblouis, En thérapie …), Laure Calamy (Dix pour cent, Antoinette dans les Cévennes…), Doria Tillier (Le Jeu, La Flamme …) et Jacques Weber (Cyrano de Bergerac Beaumarchais l’insolent …) formant une famille bien étrange. Une jeune femme précaire se découvre un père fortuné qui l’accueille à bras ouverts et l’installe chez lui avec sa famille. Des personnages féminins colorés, qui gravitent autour d’une figure paternel qui semble être à l’origine d’un mal.

Nous avons rencontré Sébastien Marnier accompagné de Doria Tillier et Jacques Weber à l’occasion d’une avant-première aux Variétés à Marseille.

─ Vous présentez ici votre troisième long-métrage, comment avez-vous imaginé ce scenario et quelles sont vos inspirations, vous qui avait travaillé autour du film de genre ?

Sébastien Marnier (S.M.) Je suis parti d’une histoire personnelle : ma mère a retrouvé son père biologique à 65 ans, ça a chamboulé leurs vies à tous les deux. Ce fut aussi la rencontre entre deux mondes, celui de ma mère prolétaire et d’un père très riche, il y avait là pour moi, matière à fiction. J’ai aussi eu envie de faire un film sur la famille, plus particulièrement sur ma vision de la famille et sur les actrices et acteurs et le cinéma en général. Le scénario s’articule autour de ce qu’on essaie de définir comme l’origine du mal et il y en a plusieurs : la famille, l’argent, l’injonction à faire famille, le patriarcat, est-ce le MAL ou le MÂLE ?

C’est aussi un film qui va vers la tragédie et essaie de convoquer par cette histoire tous les cinéastes qui ont forgé ma cinéphilie personnelle comme Claude Chabrol, Brian De Palma ou Alfred Hitchcock, ou comment je pourrais faire de toutes ces influences un film qui me ressemble : un peu baroque, un peu barré.

─ Dans la constitution du casting, aviez-vous déjà en tête la distribution ?

S.M. Concernant le casting, je l’ai construit au fur et à mesure : je n’ai pas écrit en pensant à des acteurs précisément mais plutôt à des figures et des énergies. Je considère la famille comme un conglomérat de personnalités et d’univers différents avec comme point commun le nom. J’avais donc envie de créer une famille de cinéma avec des acteurs venant de divers horizons, avec des énergies et des corps différents.

On s’est tous rencontrés au moment de la fabrication financière du film, c’est à ce moment-là que j’ai commencé à déceler chez chacun d’eux ce que je cherchais et ce qui pouvait m’inspirer pour renforcer la personnalité des personnages. Je suis allé chercher dans leur propre étrangeté et dans leur vision de la famille et de la place des femmes dans la famille ou du monde de manière générale. Se sont toutes ces discussions qui ont alimenté la fabrication de cette famille bien baroque.

─ Et d’où vient le syndrome de Diogène du personnage de Louise ?
S.M. Je me suis inspiré de la mère d’une amie à moi. Par exemple, la scène des casquettes vidéo c’est du vécu, je l’ai vu mais tout était dans la vraie vie beaucoup plus fort car pour l’équipe de décoration c’était impossible de recréer la collection de toute une vie.
Je trouvais intéressant comme ce syndrome pouvait être révélateur de l’ennui de cette femme très riche. Je trouvais que ça racontait beaucoup sur elle et sur la société. Dans un film où on parle d’argent tout le temps, je trouvais que ça décrivait de manière ubuesque la société capitaliste.
─ Comment vous êtes-vous décidé pour le lieu du tournage, aviez-vous repéré la villa comme un personnage ?

S.M. J’ai visité Porquerolles il y cinq ans pour la première fois et j’ai trouvé l’endroit très beau, j’ai eu envie d’y retourner. J’avais envie de filmer cette lumière étrange du mois de mars en hiver, très blanche. Je voulais aussi m’émanciper du glamour très classique de la Côte d’Azur.
Ensuite il y a la rencontre avec cette maison deux ans avant le tournage. C’est une maison qui a déjà servie de décor à beaucoup de tournages, elle est un décor à proprement parlé. Avec l’équipe artistique, nous avons visité de nombreuses villas toutes très jolies mais celle-ci avait un côté romanesque et étrange. Nous avions l’impression qu’elle était chargée de secrets et vénéneuse, à l’image des personnages.

Doria Tillier (D.T.) Je me souviens la première fois que je suis arrivée sur le décor, la maison me faisait penser à La Belle et la Bête, le Disney que je regardais quand j’étais petite.

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─ Pour la musique, vous avez travaillé avec Pierre Lapointe (chanteur-auteur-compositeur-interprète), comment s’est passée votre rencontre ?

S.M. C’était la première fois qu’on travaillait ensemble, je connaissais et appréciait son travail, et nous nous sommes rencontrés par hasard il y a quelques années. Je trouvais intéressant de travailler avec des musiciens dont j’admirais le travail mais qui n’étaient pas encore des spécialistes de la musique du film car je voulais éviter de tomber dans des facilités. Je trouve que le travail qu’ils ont fait est très étonnant, je leur avais demandé de travailler sur trois actes : le premier amène une tension, le deuxième acte révèle les secrets puis ça se termine en mélodrame avec un déluge de cordes. À la fin cela donne un mélange à la fois homogène et dissonant. C’était la première fois que je travaillais avec une formation orchestrale et non des groupes électro comme sur mes précédents films.

─ Ça doit être jubilatoire, Doria, de travailler un personnage névrosé ?

D.T. Généralement je joue des personnages souriants et joyeux, ici c’est un personnage très dur, fermé au bonheur et aux émotions. C’est donc pour moi assez jubilatoire de faire quelque chose de différent, en jouant quelque chose d’un peu plus souligné et théâtrale. Et ce décor-là, dont Sébastien parle comme d’un personnage nous éloigne de la quotidienneté. Parfois on peut jouer très simplement et c’est très bien mais là, il y avait quelque chose de plus tenu ne serait-ce de part ce qui nous entourait.

─ Comment, dans votre jeu, avez-vous appréhendé les antagonismes très marqués de cette famille ?

Jacques Weber (J.W.) À partir du moment où l’on est dans un cadre où il y a presque les unités classiques, ou du moins l’unité de lieu, on est dans une sorte de cadre intimiste qui ressert l’attention sur les personnages et donc dès qu’on ressert l’attention sur quelques personnages si tenté qu’ils soient bien écrits on tombe forcement sur les antagonismes. Je ne connais pas une personne qui ne soit pas antagoniste et le fait de la parabole ce n’est pas forcément une théâtralité mais un surlignage de la réalité. Par exemple la maladie du personnage de Louise, c’est le syndrome très exact de notre société, de ce que nous vivons jour après jour et c’est ce qui fait la grande catastrophe.
Lorsque que l’on rentrait dans les décors de Damien Rondeau je revoyais les derniers plans de Citizen kane « tout empire est fragile, tout empire est fragilisable et tout empire est anéantie un jour ou l’autre » on ferait bien de s’en souvenir. Et je crois que ça aussi c’est dans le film : tout est beau merveilleux, la nature est belle, les gens sont beaux, ça vie plutôt bien et petit à petit il faut qu’on instille un personnage qui ment, ou en tout cas qui perverti la relation avec la vérité et tout s’écroule, c’est le Théorème de Pier Paolo Pasolini, tout se fissure et c’est ça qui est très beau.
Quand vous me posez la question est-ce-que c’est jubilatoire moi je veux rajouter une chose, il m’est arrivé très souvent de jouer de très beau personnage et ce qui est important dans la jubilation d’un acteur c’est l’accompagnement. Un beau personnage il est forcément antagoniste et jubilatoire mais tout dépend avec qui vous le tournait, tout dépend des partenaires, du metteur en scène, chef opérateur ou décorateur. Et puis il a Sébastien Marnier qui est un vrai grand metteur en scène avec une science des acteurs. J’ai eu des difficultés pour une scène, il m’a sortie de l’eau et c’est là son travail : sentir qu’un acteur peut être fragilisé. La direction d’acteurs c’est un ensemble, un bien-être ou mal-être général. Maurice Pialat était un génie mais fallait tenir le coup [rire] il y a mille et une façon de diriger les acteurs. En tournant avec Sébastien nous étions plutôt dans l’agréable, le tendre, le généreux, dans l’empathie, c’est ce qu’il fallait pour faire des individus ignobles avec une part d’humanité. Il y a ce moment de Dominique Blanc, au bord de la plage, ce personnage nous paraissait totalement extravagant, et d’un seul regard nous sidère. En l’espace d’un instant on décèle dans ce personnage pour le moins effrayant une part d’humain.

S.M. J’ai toujours essayé de fabriquer des films plutôt sombres et c’est encore une fois une histoire d’antagonisme. Je n’image que des histoires très sombres en étant une personne heureuse, très à ma place.

─ Pour en revenir à la construction de cette famille, comment avez-vous construit les relations avec ces deux sœurs qui viennent de se rencontrer ?

S.M. Le personnage de Stéphane, comme disait Jacques c’est une sorte de Théorème. Elle arrive et révèle tout le monde.

Entre les personnages de Georges et Suzanne, il y a une sorte d’entraide, un pacte sous-terrain. Le personnage de Suzanne va faire tout ce que le personnage de Georges rêverait de faire sans oser. Et il y a une espèce de tension sexuelle, je crois, qui est présente tout le temps. Elles pourraient avoir une relation sexuelle.

─ C’est pour ça que vous faites allusion au personnage de Théorème ?
S.M. Oui, le personnage de Théorème apporte de la jouissance à tous les autres personnages. Je ne suis pas certain que ça soit strictement le cas pour le personnage de Stéphane, mais son personnage apporte au moins une libération.
─ Vous parlez de tension sexuelle entre les personnages, mais il y a aussi des tensions au niveau des corps, dans votre manière de les filmer.
S.M. J’ai toujours aimé filmer les corps, c’est même un reproche que je peux parfois faire au cinéma français, filmer de la tête aux épaules comme si tout était cérébrale. Moi j’ai toujours aimé, dès Irréprochable, filmer les corps en tension. Ici, ce qui était très beau à filmer, c’était des corps tous différents, de tous les ages.
Le film est un conte, et j’avais envie de filmer Jacques comme un ogre. La première fois que je l’ai rencontré je me suis dis qu’il avait des mains gigantesques, un corps de domination. Quant à Laure et Doria, elles ont 30 cm de différence alors on a accentué par moment cette différence pour que l’humiliation soit visible. On a aussi beaucoup travaillé le corps de Suzanne, c’était passionnant.
─ Il y a le personnage de Jeanne qui dénote au milieu de cette famille, elle semble à la fois en retrait mais proche de sa famille.
S.M. Ce personnage m’intéressait car c’est celui auquel je m’identifie le plus. Elle est tout le temps là sans être vraiment là et en même temps le film est écrit pour sa tirade sur la famille « la famille est un poison qu’on a dans le sang ». C’est le seul moment ou je m’autorise un plan séquence fixe de 2 minutes car c’est cette vérité que j’ai à dire, ma vérité à moi. Et je la trouve aussi intéressante car ambiguë : elle pourrait partir, pourtant elle reste.

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Entretien réalisé par Naomi Camara.

Crédits photos top et article : © Laurent Champoussin

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