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[Métiers du cinéma] Entretien avec Catherine Catella, monteuse et réalisatrice

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Publié le : Vendredi 5 juin 2020

Les métiers du cinéma : monteuse

Entretien avec Catherine Catella, monteuse et réalisatrice

Le film s’achève, le générique se déroule, égrenant les noms et professions de toutes les personnes qui ont permis que le film visionné existe. Une preuve de plus que le cinéma est un art collectif qui rassemble de nombreux savoir-faire. À travers une série d’entretiens, Séances Spéciales vous emmène à la découverte des métiers du cinéma.

Cette semaine, nous avons rencontré Catherine Catella, monteuse et réalisatrice de films documentaires (Leoforio de Shu Aiello et Catherine Catella (2019), Le sous-bois des insensés, une traversée avec Jean Oury de Martine Deyres (2018), Tokyo Blue, l’endroit au bord de la rivière de Sylvain Garassus (2014) ….). Un échange autour de son travail de monteuse, l’écriture cinématographique qui en découle, ou encore les ponts qui peuvent se faire entre ce métier et son métier de réalisatrice.

Catherine Catella
Un Paese di Calabria de Shu Aiello et Catherine Catella, Juste Distribution (2007)
Le sous-bois des insensés, une traversée avec Jean Oury de Martine Deyres, Esperanza Productions (2018)
Juste un jeu de Daniela Lanzuisi, Shellac Sud (2018)
Vous travaillez pour le cinéma documentaire en tant que monteuse et réalisatrice, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le métier de monteuse dans ce cadre ?

Monter un film documentaire, c’est explorer tous les rushes (images produites lors du tournage) pour trouver une écriture. La quantité de rushes varie, par exemple pour un résultat de 90 minutes cela peut aller d’une une vingtaine d’heures jusqu’à 150-200 heures de rushes !

Cela suppose regarder toutes les images, ce qu’elles racontent, en dehors de l’intention du cinéaste, pour organiser le récit. C’est comme un puzzle en morceaux dont on retrouverait petit à petit les pièces à assembler pour composer la figure finale. Sauf qu’il y a autant de montages que d’organisations possibles. Cela signifie que je vais monter le film d’une certaine façon, mais qu’un autre va le monter autrement. Il y aura donc deux films qui auront peut-être une tendance différente. Même si je crois, au fond de moi, qu’il n’existe qu’un film.

Êtes vous également présente en amont de la post-production et avez-vous des retours pendant la durée tournage ?

Pendant le tournage, il arrive que je regarde les images. Parfois, sur des tournages très longs, il peut m’arriver de pré-monter des choses pour voir ce qui pourrait manquer. Cela peut être un plan de ciel, un temps suspendu… et il va être tourné parce qu’on en a besoin dans l’écriture du film.

Comment se passe la première rencontre avec une réalisatrice ou un réalisateur et comment cela détermine votre travail ensemble ?

Le montage est une collaboration d’écriture puisqu’on écrit le film au montage. Il faut donc saisir l’écriture du réalisateur, le comprendre. Quand je rencontre un.e réalisateur.rice, je rencontre d’abord une histoire et une capacité à me raconter une histoire, que ce soit dans le documentaire ou la fiction, mais dans le documentaire c’est quelque chose de particulièrement fort ! Si je rencontre quelqu’un qui me fait rêver son film, s’il me raconte quelque chose que je peux imaginer, cela suscite du désir.

Il est nécessaire d’être porté par le même désir de film, de rentrer en symbiose et pas faire un film pour un film. C’est de l’ordre de l’indicible. C’est une vraie rencontre, ça se passe ou ça ne passe pas du tout, on ne peut pas le forcer, mais il faut qu’on puisse se supporter car on va rester à côté l’un de l’autre pendant longtemps.

Il ne faut pas partir en subissant les choses. Il est indispensable de trouver l’écriture avec le réalisateur ou la réalisatrice avant le tournage, car la difficulté pour le ou la monteur.se, c’est d’avoir des heures et des heures de rushes, ce qui est compliqué à travailler.

Comment travaillez-vous avec un réalisateur ou une réalisatrice ? Cette personne est-elle présente en post-production ?

Cela dépend, il y a des cinéastes qui n’aiment pas le premier temps du montage. C’est un temps assez long, de dérushage et d’organisation, qui me permet de m’approprier les images et de questionner ce qu’elles racontent.  J’ai besoin ce temps seule, je n’ai pas envie que l’on me raconte ce que je vois ou que l’on dirige mon regard. Il y a des gens qui aiment rester à mes côtés, mais il faut beaucoup de patience que n’a pas forcément quelqu’un qui a déjà participé au tournage.

Ensuite, quand j’ai organisé une trame générale, on commence à travailler ensemble. Avec certains, je montre où j’en suis, on avance quelques jours ensemble, puis je travaille à nouveau toute seule, et on se voit par étape de cette manière. D’autres ont besoin de voir quelque chose de fini et non le temps de fabrication.

Monteur.se, c’est un peu un travail obsessionnel, on est seul.e face à l’image, souvent dans des endroits un peu confinés.

Est-ce qu’il y a des cas où il y a plusieurs monteur.se.s ou une équipe ?

Oui, sur les très gros projets, il peut y avoir plusieurs monteur.se.s car il y a énormément de rushes. Il arrive aussi de commencer un montage et, parce que cela dure très longtemps, de ne plus avoir la distance pour continuer. Dans ces cas-là, on peut confier la suite du montage à quelqu’un pour finir, dans une sorte de nouvelle étape.

─ Et quelles sont les différences pour vous avec le cinéma de fiction ?

Je n’ai pas fait beaucoup de fiction même s’il m’est arrivé d’en monter, mais, pour moi, le fait que les choses soient écrites en amont et que l’on suive un scénario rend l’organisation du montage plus simple.

On pré-monte d’abord une continuité qui respecte l’écriture du scénario. Ensuite, il s’agit de voir si cette construction fonctionne vraiment. C’est au monteur ou à la monteuse de trouver des éléments pour réorganiser le récit, de choisir une séquence plutôt qu’une autre, ou bien d’en enlever parce qu’elles ne fonctionnent pas.

Le travail du choix de la prise se fait avec le cinéaste et permet souvent de questionner ses intentions. Certains aiment bien que le ou la monteur.se choisisse dans ses préférences pour les confronter aux siennes, car on a cette distance que le cinéaste n’a pas forcément en tournage.

Pour résumer, on travaille sur la question du choix de la prise, de l’organisation du récit en fonction des scénarios et de la réorganisation si besoin. Ensuite, il y a le travail de mise en rythme, c’est quelque chose qui appartient au monteur ou à la monteuse. Il existe, bien sûr, une temporalité intrinsèque au filmage, au plan, mais il y a celle que l’on va créer et fabriquer au montage et qui reste toujours un travail très intéressant que ça soit en fiction ou en documentaire.

─ Vous êtes également réalisatrice de films documentaires. Est-ce que ces deux métiers se nourrissent l’un l’autre et si oui comment ?

Je fais partie des gens qui apprennent en permanence. Je trouve que le montage sert beaucoup pour la réalisation et vice-versa. Tous ces métiers sont des métiers d’artisans, de recherche, souvent en collectif. Évidemment je suis monteuse, donc je trouve que le montage nourrit beaucoup la réalisation, l’écriture du récit mais je pense que tous ces métiers du cinéma se nourrissent entre eux.

Est-ce que vous faites le montage de vos propres films et justement par rapport à ce recul dont on parlait, comment cela fonctionne ?

Je le fais pour l’instant mais je ne devrais pas. C’est une question que je me pose à chaque fois, mais je n’arrive pas à trouver quelqu’un avec qui je pourrais fonctionner en binôme. Ce serait très compliqué pour cette personne de savoir que je monte aussi. Mais je ne désespère pas de trouver ! (rires)

La qualité première du monteur, c’est de ne pas avoir d’affect. Il n’est pas lié à l’image, n’a pas vécu le tournage, et n’a pas rencontré les gens. Tout cela, il le rencontre à l’image, il est naïf, frais, avec une sorte de regard absolu, une lecture brute de l’image, il capte tout de suite ce qui s’en dégage.

Au fur et à mesure que l’on avance dans le montage, on s’attache à nos personnages, à une forme, à une écriture. Donc on perd la distance. C’est une position compliquée à tenir.

Quelle est votre formation et les formations pour être monteurs ?

Je n’ai pas fait d’école de cinéma, je fais partie de ceux qui ont appris sur le tas. J’ai fait des études de lettres jusqu’à une thèse. J’ai suivi quelques cours d’analyses de films mais pas quelque chose de spécifique.  C’est vraiment la littérature qui m’a dirigé petit à petit vers le montage parce que finalement il y avait des éléments très proches. Après, la partie purement technique, cela s’acquiert facilement, avec une bonne méthode et surtout beaucoup de temps.

La difficulté actuelle, c’est de ne plus avoir les moyens de payer de vrais assistants monteurs à qui l’on peut transmettre le métier. Souvent, on a des assistants qui sont des techniciens et qui s’occupent de choses très spécifiques. Or, la transmission est essentielle.

Quelles sont les qualités requises pour être monteur.se ? 

Il faut être observateur et organisé. Surtout il faut de la patience, c’est essentiel. La psychologie est également importante : ne pas avoir peur de reconnaître ses erreurs, d’aller chercher le cinéaste, le titiller. Il y a beaucoup d’envie de finir le film et là il faut résister, il faut un peu de ténacité. C’est une relation à deux compliquée quand on arrive en bout de chaîne de production.

  Et dans quelle mesure le développement de nouvelles technologies a fait évoluer votre pratique ?

Le montage numérique est très souple. Cela se rapproche du travail en pellicule mais avec la souplesse du virtuel, la possibilité de recommencer à l’infini, de réorganiser le récit. Cela va beaucoup plus vite, c’est fabuleux. Mais il y a un travers à ça : tourner en numérique offre des heures et des heures de possibilité de tournage, donc à force, cela devient difficile de décider et de faire des choix. Or, faire un film, c’est faire des choix.

Au niveau de l’organisation du travail, le numérique a accéléré la disparition de nombreux métiers. Je connais des monteur.se.s qui sont capables de tout faire de A à Z, de la synchronisation à l’étalonnage, jusqu’aux effets spéciaux. Or, il y a des métiers pour chaque temps de la post-production, et il faut les maintenir absolument.

Relativement à la situation actuelle, est-ce que vous avez pu continuer à travailler sur des projets ou est-ce que vous en avez déjà en route pour la suite ?

J’étais en montage pendant le confinement. En fait, les monteur.e.s sont toujours un peu confiné.e.s, donc j’ai pu continuer à travailler, mais seule du coup, sur un projet de documentaire, un long format pour le cinéma.

Est-ce qu’être monteuse influence votre regard lorsque vous allez au cinéma ?

Ça dépend comment j’y vais. Si j’y vais pour regarder le montage, je vais regarder d’une certaine façon. Mais la plupart du temps je suis très bonne spectatrice ! Un film est une proposition qu’il faut respecter, on n’est pas là pour juger. Il y a toujours des idées à relever, c’est un apprentissage permanent. Je me souviens très bien de certains films qui m’ont marqué à une époque, d’Andrei Tarkovski à Harmony Korine et qui m’ont ouvert de nouvelles perspectives de montage. Il faut vraiment se libérer de plein de choses, imposées aussi par nos formations, pour s’offrir des possibilités de créer.

Par contre, quand je suis en montage, je suis incapable d’aller au cinéma, ou alors il faut vraiment que je regarde des daubes ! Je n’aime pas trop être influencée. Par exemple quand on me propose un film, je ne vais pas regarder des films sur le même sujet, jamais.

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Entretien réalisé par Margot Laurens, aidée de Sylvain Bianchi

Leoforio de Shu Aiello et Catherine Catella, Urban Distribution (2019)
Tokyo Blue, l'endroit au bord de la rivière de Sylvain Garassus, Les Films du Tambour de Soie (2014)
Jasmine d'Alain Ughetto, Shellac (2013)
Il canto del mare de Claudia Neubern, Les Autres Films (2017)

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